C’est lors d’une discussion autour du féminisme et de la microédition que l’artiste tatoueuse Edith Lake m’a parlé de sa sœur, Élise Bonnard. En partant, me voilà donc en possession de deux livres, Le vaudou ne se pratique pas sur un tapis mou et Veilleur de nuit, dont l’esthétique même me touche. Leur lecture m’a plongée dans un état à la fois euphorique et flottant, les mots d’Élise étant habités de magie, de vie.
Cette autrice lyonnaise queer est une véritable artiste protéiforme, qui en plus de poser les sens féminins sur papier, performe et enregistre également sa voix. On peut notamment l’entendre dans l’excellent podcast Gang of witches aux côtés de Marguerin Le Louvier, avec qui elle anime les ateliers d’écriture du Cristal qui songe au salon de tatouage La sirène à deux têtes. Elle imagine aussi un feuilleton mensuel diffusé en 2020 sur Radio Canut et dans le magazine Hétéroclite : Chroniques lyonnaises du presque futur. Elle y partage les ressentis de Polaire, son homologue androïde rétrofuturiste qui découvre les habitudes humaines, les goûtant et les questionnant avec candeur.
L’univers d’Élise Bonnard est marqué par le féminisme et la réappropriation des désirs féminins par les femmes elles-mêmes, qu’elles soient hétéros, gays, transgenres. Le vaudou ne se pratique pas sur un tapis mou est un recueil de vingt textes érotiques et sensuels en courbes, creux et pleins. Aux formes de corps qui mordent et coulent, où les femmes sont désirantes et actives. Les constructions de genre n’existent pas, la jouissance et les fantasmes palpitent. Il s’agit d’une ode au(x) sexe(s), aux sexualités, à leurs individualités propres et belles qui se rencontrent et communiquent.
La magie de l’autrice opère de la même manière au travers de Veilleur de nuit, dialogues nocturnes volés dans l’organe insomniaque d’un hôtel. Bercé·es par le rythme des heures qui égrainent dans la lenteur de l’obscurité et le bruissement pailleté des ébats charnels, l’échange narratif rebondi d’esquisses dessinées au bic aux souvenirs d’une machine inarrêtable, qui broie tout entre ses crocs sans vie. Les phrases agrypniques nous plongent dans la langueur organique de la nuit : moquette aux lourds imprimés, clair de lune aussi lisse et doux que de la céramique… L’ambiance est chaude et ouatée, vibrante comme le corps d’une panthère.
Élise Bonnard le dit elle-même, elle est faite de mots. Ils et elles s’habitent mutuellement, se forgent et s’écoulent l’un·e à travers l’autre dans des membranes inconnues, aux identités et entités multiples et politiques.
Veilleur de nuit
Éditions Papier Charbon
Le vaudou ne se pratique pas sur un tapis mou
Imprimé à l’atelier lyonnais de risographie Toner Toner
Caroline