Si tu veux vivre, appelle les urgences. Phineas Poe, jeune veuf, ex-flic fraîchement sorti de l’ asile se réveille brutalement dans une baignoire remplie de glace et…de son propre sang. Il essaye de rejouer l’histoire : deux jours plus tôt il a rencontré Jude, une femme, belle, parfaite, trop. Ils ont bu, flirté, puis sont monté dans sa chambre. Et voilà qu’il se retrouve estropié, lesté d’un rein en moins dans un état plus que critique. Phineas n’est donc pas très content et il est bien décidé quitte à ce que ce soit son chant du cygne à se venger et aussi à récupérer la partie de son corps volé.
Il est des textes – et finalement ils sont plutôt rares – pour lesquels nous diront qu’ils sont inoubliables. Embrasse-moi, Judas de Will Christopher Baer fait parti de ceux-ci. C’est un texte qui marque, frappe dur, fait surchauffer la carrosserie intellectuelle et laisse le monde en suspens. Truffé de références, allant d’Edgar Poe à Hamlet en passant par les neurosciences, Will Christopher Baer a signé un premier roman magistral à la construction qui ferait baver David Lynch .
Parce qu’une question revient souvent au fil de la lecture de ce texte : qui sont les personnages ? Qui est le Judas ? Phineas Poe ne serait-il pas seul, perdu dans ses délires morphinomanes ? Parce que finalement n’y a-t-il pas meilleur traître que soi-même ? Parce que l’être humain n’est pas unitaire.
Le monde de W.C. Baer est fascinant, basé sur une frontière où la paranoïa décide du court des choses, et nous impose une entrée directe dans un monde où tout est impalpable, distendu, kaléidoscopique. Un monde irréel où violences et quêtes perdues ne sont là que pour aboutir au centre névralgique de Phineas : la trahison.
La quête de Phineas est une odyssée pleine de douleurs. Ses blessures hurlent, se déchirent, assommant notre personnage qui cherchera un moyen de survivre à travers la drogue, juste le temps de résoudre cette histoire. De supprimer ces femmes qui le trahissent comme l’a fait sa femme quelque temps auparavant en mourant, le laissant seul, agonisant. Juste le temps de comprendre que tout son monde n’est vu qu’à travers le judas de son propre esprit, déformé, hideux, empli d’une symbolique qui n’existe que dans son univers poreux.
Bref, vous l’aurez compris, Embrasse moi, Judas est un texte incroyable et dangereux qui pénètre au plus profond de soi et qui ne laisse pas indemne. C’est un monument au rythme hypnotique , aux femmes pulpeuses et aux méchants à mallettes. Ils sont rares ces livres-là et précieux aussi parce qu’ils bousculent en 350 pages la conception même de la cartographie mentale mise à disposition de la littérature.
Trad de J-P Gratias
350 pages
Gwen