On place trop souvent la pratique de la poésie en dehors de la réalité des langages qui nous entourent au quotidien. Pourtant, c’est une pratique artistique qui est capable de s’attaquer aux évolutions des modes de communication à l’ère du capitalisme tardif. Quand on se penche sur le langage informatisé, en allant voir par exemple les courriers indésirables dans sa boîte mail, on en devine un langage qui induit une grande violence. Avec Fentanyl Flowers, Émilien Chesnot a prélevé ce type de langage pour en proposer une para-traduction en lui donnant un aspect totalement délirant et menaçant.
Dans Fentanyl Flowers, il y a un personnage avec un nom, puis un prénom. Émilien Chesnot nous le représente à travers les messages informatisés qu’il réécrit. Dès les premières pages, on s’aperçoit du sabotage qu’a effectué l’auteur dans la transcription de ces phrases prélevées sur Internet. Cette méthode permet de prendre en compte la défaillance de ce langage commercial et financier. Nous avons l’impression de lire les nombreux spams qui inondent nos boîtes mails ou les espaces de commentaire de nos sites internets. Elle apparaît comme une langue mal traduite dont la nocivité est évidente.
Au fur et à mesure de ces messages, le langage informatisé se fait de plus en plus insistant. Il décline peu à peu avec les coups que porte Émilien Chesnot. Dans son désir d’exploitation permanent, ce langage rend visibles une personne et un corps menacé. C’est par la captation de ce langage et par sa déstructuration que le poète tisse une trame narrative angoissante et absurde. Cette para-traduction construit une fiction reflétant une réalité que toustes les utilisateurices d’Internet peuvent comprendre. La main-mise du capitalisme sur cet outil de communication produit une aliénation verbale évidente.
Tandis que certaine personne sont subjuguée par les prouesses de Chat GPT, un outil conversationnel dirigé par une intelligence artificielle, il est temps de reprendre en main nos capacités de déconstruction du langage. La poésie ouvre cet espace, où il serait possible de replacer la vitalité et la pluralité linguistiques en dehors de toute aliénation économique. Émilien Chesnot prouve avec Fentanyl Flowers que cette pratique utopiste n’est pas simplement un embellissement de nos conditions humaines. La création poétique peut se révéler être une arme pour déconstruire la communication des systèmes d’oppressions.
48p
Adrien