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Emmanuel Bove – La dernière nuit

La journée avait été interminable et insipide.

Dehors, l’automne.

Un temps à ressasser tous les mauvais souvenirs, un temps à épier les bruits dans l’appartement voisin, un temps à attendre que le temps passe et que la nuit tombe.

Un temps à se pendre.

Arnold prend l’invitation au pied de la lettre. Il ouvre le robinet de gaz et, allongé dans son lit, il attend. Il attend que le ciel s’ouvre, il attend que les étoiles se dévoilent. Dans sa chambre obscure, sa chambre de bonne, il sent le gaz l’envelopper, le transporter. Alors il se sent bien, il se détend enfin. Une journée passée à se tourmenter vient enfin de prendre fin.

Tout de même, l’odeur de gaz ne devient-elle pas trop forte ? Ce compagnon invisible, ne va-t-il pas définitivement l’emporter ? N’était-il pas préférable de vivre, malgré tout ?

La nuit tombe, et tout bascule.

La nuit, ses ombres, ses horizons opaques. La nuit, ses petites morts et ses grandes résurrections. Arnold l’embrasse, l’étreint, l’arpente. Mais la nuit dans laquelle il s’enfonce, est-ce une vision avant la mort, ou bien un rêve étrange ?

Tout comme lui, on flotte entre deux mondes. On déambule dans un Paris davantage fantasmé que réel (à ce titre, on pourrait se rapprocher du New York halluciné arpenté par Tom Cruise dans Eyes Wide Shut de Kubrick – n’ayons pas peur de la comparaison). On croise et recroise les mêmes personnages, aux fonctions différentes. Devant Arnold, les portes s’ouvrent, puis se referment, à mesure qu’on renoue le fil de ses derniers jours. Pourquoi désirait-il tant que le gaz l’emporte ?

Heureusement, le voilà sauvé. Puis le voilà jeté aux orties, cloué au pilori. Les petits sauvetages succèdent aux affreuses défaites. Un piège souterrain, invisible, se referme sur lui. Les ombres qui le pourchassent finissent par l’enfermer dans un labyrinthe duquel il devient difficile de s’échapper.

Peut-être que la seule issu est le rêve ?

Peut-être que la seule issu est le réveil ?

La quatrième de couverture nous annonce : « Bove, le plus grand des auteurs français méconnus » (dixit Libération). C’est heureux que, ces derniers mois, Bove revienne en force dans les librairies par le biais de deux rééditions : La dernière nuit, donc (roman dont la première mouture date de 1933) et Un homme qui savait (aux éditions de La Table Ronde, roman paru initialement en 1942). Pour une bibliothèque idéale, on peut également citer La mort de Dinah et Coeurs et visages (tous deux dans la collection Motifs du Serpent à plumes).

Emmanuel Bove sort enfin de l’ombre !

L’auteur est précieux, il semble lié au destin de ses personnages : des hommes solitaires, heureux dans les alcôves et les sous-pentes, en proie aux angoisses et aux vertiges. Les sentiments et rapports humains qu’il décrit, qu’il dissèque, sont toujours d’actualité : la solitude, la peur du manque, la crispation de la culpabilité.

Il faut ressortir Bove du placard, il faut le sauver des étagères monochromes des librairies. Il faut lui dresser la table, l’inviter à se découvrir. Le plus grand des auteurs méconnus, enfin, pourra être lu.

Préparez-vous, ce qu’il a à dire est captivant.

PS : à noter l’illustration de la couverture du livre, magnifique, signée Chloé Poizat. Tout aussi fascinante et mystérieuse que le roman.

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La dernière nuit

Emmanuel Bove

Castor Astral

(réédition 2017)

À propos Alexandre

Chroniqueur

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Un commentaire

  1. Vous avez bien raison!

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