Le roman de Bolaño est le fruit de la collaboration entre Gilles Marchand – auteur de quatre textes dont « Green spirit » et « Blup » chez Zinc éditions- et Eric Bonnargent – auteur quant à lui d’un texte paru au Vampire actif : « Atopia, petit observatoire de la littérature décalée »-. Une œuvre qui ose le faux-semblant, noyer la réalité dans la fiction, perdre les lecteurs dans d’obscures références pour mieux l’éblouir sur un final digne d’un grand polar ? Deux auteurs parlant d’un troisième, un échange, deux univers qui se rencontrent et le tout dans à peine 300 pages.
Un chauffeur de taxi, Pierre-Jean Kauffmann, amnésique tombe sur l’adresse réelle d’un personnage d’un roman de Roberto Bolaño. Intrigué, il se décide à lui écrire, sans forcément attendre de réponse. Mais la réponse vient, et ce personnage, Abel Romero, est bel et bien réel. Ce qu’il y a de plus troublant ce sont les nombreux points communs entre le personnage du roman et l’Abel réel. De cet échange entre Pierre-Jean et Abel va naitre deux quêtes, pour Abel, de savoir pourquoi et comment sa vie peut être mêlée à ce point avec une œuvre de fiction et Pierre-Jean n’est pas en reste car son passé va venir lui titiller son amnésie, et le pousser, lui aussi, à entreprendre son chemin de croix jusqu’à trouver la vérité sur son identité.
Roman épistolaire, c’est par l’échange de courriers puis de mail que nous assistons à l’avancée des deux enquêtes. Deux enquêtes qui distillent habilement des éléments de fiction dans leurs réalités, et poussent à s’interroger quant à la véracité du réel et l’intérêt de la fiction. Noyer le lecteur dans un troisième univers, un monde où les deux mondes se télescopent pour en faire surgir une toute autre réalité.
« Je ne suis peut-être pas très clair, si ? Bon mais je ne suis pas philosophe. La philosophie est une mystification. Le monde ne s’explique pas. Les mots sont poreux. Mon ambition, c’est de trouver une écriture qui résiste à l’intempérie totale. Peut-être devrais-je quand même me servir de votre histoire et me pencher sur l’idée d’une correspondance. Le roman épistolaire est un genre oublié, que je n’ai d’ailleurs encore jamais exploité, et qui me permettrait d’introduire de la discontinuité dans le récit, de jouer au chat de Schrödinger. Vous savez, ce paradoxe d’être, donc, à la fois réel et imaginaire. Je ne fais que me battre avec la tension entre fiction et réalité. Tenez, je pourrais même signer ce livre d’un autre nom, faire croire qu’il est Bolaño lui-même ! Ce serait amusant, non ? Un roman signé Bolaño qui suggérerait que son auteur n’est qu’un prête-nom ! Ne m’en veuillez pas, les impostures me passionnent. »
Utilisant habilement le format et les codes du roman épistolaire, distillant du post-modernisme par-ci, quelques interprétations et références culturelles et surtout littéraires par-là avec une grosse louche de Bolaño, les deux auteurs réussissent le pari de rendre un texte intrigant et addictif ; un univers riche et dense qui offre une puissante assise à la narration et à la cohérence de l’histoire, un rythme mené tambour battant et ce malgré le format épistolaire qui impose un certain recul aux lecteurs. Précisons pour finir qu’il n’est absolument pas nécessaire de connaître l’univers de Roberto Bolaño pour apprécier ce roman.
Les éditions du Sonneur,
310 pages,
Ted.
J’ai aimé moi aussi me noyer dans le jeu initié par les deux auteurs… et si je suis tout à fait d’accord avec le fait qu’il n’est pas nécessaire de connaître l’oeuvre de Bolaño pour apprécier ce titre, le contraire donne tout de même une saveur particulière à la lecture.