Comme nous disions sur l’article consacré au roman de Michel Pagel, en janvier, l’activité de l’auteur est double. Sa deuxième actualité la voici, avec la traduction du trente-cinquième titre de la collection “Une heure lumière” chez Le Bélial’.
Il y a des paris osés en littérature, qu’il s’agisse de tuer son héro, de tenter d’éclater les codes d’un genre, ou encore de casser les schémas narratifs pour jouer avec la forme du texte. Mais ici, nous sommes sur un tout autre pari, nous sommes sur une sorte d’hommage double !
À ma gauche, nous avons le détective privé le plus célèbre de sa majesté, le résident de Baker Street le plus populaire au monde, à savoir Sherlock Holmes de Sir Arthur Conan Doyle. À ma droite nous avons l’invasion martienne la plus dantesque, glaçante et documenté du début du vingtième siècle à savoir la guerre des mondes de H.G Wells. Vous prenez les deux œuvres, vous mélangez, vous saupoudrez d’une légère angoisse dickienne, et ça donne « Simulacres martiens » d’Eric Brown.
Eric Brown est un auteur anglais assez peu connu en France. Ayant fait ses armes dans les années quatre-vingt dix dans la revue « Interzone » il est l’auteur d’une demi douzaine de séries littéraires, de sept romans ainsi que d’une centaine de nouvelles. En France, nous avons eu la chance de pouvoir le lire dans la revue Bifrost ainsi que “Les férailleurs du cosmos” en 2013 chez Le bélial’ et visiblement ce serait à peu prêt tout à ce jour. Il est à noter, pour le contexte, qu’une série littéraire a été inauguré par Eric Brown se nommant « The further adventures of Sherlock Holmes », ayant à ce jour un seul titre ( The martian menace), mais pour autant « Simulacres Martiens » semble être indépendant.
Après la tentative d’invasion initiale se soldant par un échec ( cf. la guerre des mondes) une deuxième vague, cette fois-ci pacifiste et faisant son maxi Mea Culpa concernant cet affront, tente de nouer des contacts avec les humains et dans un procéder d’échange de technologies, de connaissances etc… De construire un solide lien pour l’avenir. C’est dans cette optique que le voyage interplanétaire entre Mars et la Terre fût mis en place, et des terriens régulièrement invités sur Mars. Dans ce contexte nouveau semblant vouloir devenir une nouvelle forme de routine, nous retrouvons Holmes et Watson à Baker Street. Le quotidien paisible des nos protagonistes devant être bousculé, lorsque le martien Gruvlax-Xenxa-Schmee requiert de toute urgence le duo sur Mars pour enquêter sur la mystérieuse mort d’un éminent philosophe martien. Une enquête qui nécessite un regard et un savoir faire unique. Ce voyage sera aussi l’occasion pour Watson de rencontrer la charmante Freya Hadfield-Bell et de voyager avec l’aventurier et professeur Challenger.
Mais comme dans toute enquête de Sherlock Holmes, les apparences sont souvent trompeuses et l’enquête prend un virage inédit, avec des conséquences catastrophiques pour les terriens si ils échouent.
On va balayer les défauts de suite, ils existent, mais ne gâchent pas le plaisir de lecture. Le souci dans ce genre de texte, est l’aspect “fan service” qui peut-être vite être dangereux pour l’histoire et l’auteur. Et en ça, Eric Brown manifeste un respect certain pour Sherlock Holmes, mais ne sait pas l’utiliser comme il faudrait si l’hommage devait être total. Dans les aventures écrites par Conan Doyles, par le truchement de la narration de Watson, nous assistons au génie vif, caché par son flegme anglais, d’un détective ayant toujours un coup d’avance, si ce n’est deux ou trois. Même si la narration nous impose une distance, nous ne pouvons qu’admirer le talent du détective privé. Cette figure du protagoniste qui a toujours de l’avance sur son lecteur ou spectateur est une figure rodée et codifiée depuis, qu’il s’agisse d’Hercule Poirot, de l’inspecteur Columbo ou encore de Docteur House, ils descendent tous de ce schéma. Mais ici, Eric Brown semble avoir voulu s’affranchir de ce style pour axer la narration sur les aventures de Watson et de ses compagnons Holmes et Challenger. Ce qui donne un Sherlock Holmes en retrait, qui subit les péripéties, ne faisant preuve que de très peu de discernement et finalement se retrouvant juste être un prétexte pour attirer les lecteurs plus qu’autre chose. Et c’est déroutant au début.
Mais une fois passé cette déception initiale, il est néanmoins important de louer les qualités de ce « Simulacres martiens ». Car une fois accepté le constat de départ, nous nous retrouvons face à un roman d’aventures, très « Pulp » efficace et fun. Fonctionnant un peu comme durant l’âge d’or des sériels littéraire que l’on pouvait trouver dans la presse, à savoir un chapitre par semaine, et qui était fréquent au dix neuvième siècle et au début vingtième ( Cf. Victor Hugo ou Charles Dickens), “Simulacres martiens” enchaîne les péripéties à deux cents kilomètres heures et ne souffre jamais de problème de rythme. Plus qu’un roman d’enquête, nous sommes face à un hommage aux romans d’aventures palpitants.
Le paradoxe dans tout ce qui fut dit jusqu’ici, c’est que son défaut initial devient aussi sa force. Sous ses airs « Pulps » et presque picaresque, Eric Brown s’est éloigné des œuvres d’origines pour proposer une vision différente des univers confrontés ici dans son récit. Un tour de force qui peut en rebuter certains, mais qui offre un exercice de style intéressant dès lors que nous acceptons de lire du Eric Brown et non pas du Conan Doyle/ Wells.
Pour finir, Simulacres martiens est intéressant à lire, et à noté d’ailleurs au passage la traduction impeccable de Michel Pagel ici. Il s’agit d’un roman d’aventures SF efficace, qui traite les deux références d’origines de manière originale et se permet d’ajouter quelques clins d’œil à d’autres œuvres de “pulp” culture des années 50 et 60. Bien que maladroit ou prévisible par moments, il n’empêche que “Simulacres martiens” reste un plaisir de lecture.
Éditions Le Bélial’
Trad. Michel Pagel,
130 pages,
Ted.