« Au Québec, on a tous du sang indien. Si c’est pas dans les veines, c’est sur les mains. »
Le 11 juin 1981, la Sûreté québécoise investit la réserve de Restigouche pour confisquer les filets de pêche au saumon de la communauté Mi’gmaq. La résistance des autochtones donne lieu à un déchaînement de violence des forces de l’ordre.
Cet épisode de ce que l’on appelle la “guerre du saumon” constitue le point de départ de Taqawan, roman engagé et passionnant, d’Éric Plamondon paru le 4 janvier chez Quidam Éditeur, pour l’édition française.
L’intrigue est extrêmement simple. Pendant que les Indiens de sa communauté Mi’gmaq sont malmenés par la police, Océane, une jeune fille de 15 ans est violée puis abandonnée dans la nature. Un garde-chasse la retrouvera et tentera de la protéger de la violence des hommes blancs. Mais par son intermédiaire c’est un autre homme qui mettra fin au calvaire de la jeune femme ou plutôt, c’est une véritable Némésis qui se déchaînera, en la personne d’un vieil indien.
Le récit, court et bien mené, ne manque pas de péripéties, mais le grand intérêt du livre est qu’il est bien plus qu’une « sale histoire ».
Car Taqawan est un roman noir atypique. Il conte les hommes et leur violence en ce mois de juin 1981, les blessures d’un peuple à travers celles d’une jeune fille. Mais au-delà, Éric Plamondon offre un regard sur l’histoire de la Gaspésie, ce bout du monde qu’Anglais et Français voulurent s’approprier, au détriment des peuples autochtones et plus globalement sur le Québec, et les rivalités entre francophones et anglophones canadiens.
Avec des chapitres très courts, dérivant du temps géologique aux actualités du début des années 80, se construit comme une mosaïque où l’auteur alterne les points de vue et les tonalités, tantôt anthropologique, naturaliste, historique, poétique.
Si cela peut paraître déroutant au prime abord, la limpidité du récit révèle très vite la profonde cohérence du propos.
Mêlant les considérations politiques aux histoires d’amour, la pêche aux plaies de la colonisation, Éric Plamondon donne les clés d’une histoire où les trajectoires individuelles et collectives de mêlent et se soulignent mutuellement.
Ainsi, un viol peut dire l’inégalité des vies humaines, instaurée par les hommes blancs depuis l’arrivée de Giovanni Caboto puis de Jacques Cartier.
La confiscation de filets de pêche et les émeutes qui s’ensuivent pour symboliser l’injustice de la colonisation qui se perpétue.
La relation de l’ancien garde-chasse avec une enseignante française permet de montrer les paradoxes des revendications indépendantistes québécoises et la difficulté pour les individus de se détacher de leurs habitus identitaires. L’auteur montre notamment l’impossible convergence entre les francophones se sentant sous la coupe anglaise et les autochtones qui subissent toutes les dominations et tentent de résister.
Par l’histoire d’une jeune Indienne, l’auteur nous offre un œil sur l’histoire de la colonisation nord américaine, dans toute la force de sa subjectivité. Un petit tour dans un monde lointain aussi beau que terrible. Une dénonciation de la bêtise et des replis identitaires.
Il ne vous reste qu’à suivre le Taqawan, saumon revenu pour la première fois de la mer et remonter avec lui le cours bouillonnant de cette histoire, terriblement féconde. Une lecture passionnante, dévorante. Une nouvelle grande trouvaille de Quidam Éditeur.
Éric Plamondon
Quidam Éditeur
196 pages
Héloïse