Aimer certains livres, plus que d’autres, c’est avoir envie de les défendre. C’est le cas ici. Car le livre qu’Erwan Larher ne voulait pas écrire est un livre que l’on juge. Pas seulement pour son écriture, sa construction, son ton, son rythme, mais pour son sujet même, sa démarche.
Il y est en effet question des attaques terroristes du 13 novembre 2015, plus précisément du Bataclan où l’auteur-spectateur a été blessé. Casse-gueule au possible.
Mais l’auteur a tout prévu. Il est blindé, il sait que tout le monde ne pourra pas aimer, voire lire son bouquin, ou alors plus tard, un jour, quand le trauma aura laissé un peu de place. Le livre qu’il a écrit à la demande de ses proches, est et sera forcément lu pour bien plus que ce qu’il est.
Qu’est-il donc ?
Un témoignage, une construction littéraire au service de la mémoire. La sienne et la nôtre, partagée dans une mémoire collective mais aussi celles, intimes, qui font qu’en lisant son histoire, c’est celle du lecteur qui s’éveille, d’abord.
Alors du pathos, imaginez comme on pourrait en ingérer, à la pelle, jusqu’à écœurement. Mais voilà, Erwan Larher ne joue pas ce jeu-là. Il ne joue pas en fait, évite chaque piège avec intelligence et même humour parfois. Celui de l’égo, de la mièvrerie, du pathos, sans rien éluder des bouleversements personnels, des sentiments, du tragique.
Ce livre, je veux le défendre. Pas son sujet, un auteur n’a pas à se justifier de ce sur quoi il écrit et libre aux lecteurs de choisir les livres selon leurs intérêts, envies, besoins du moment (et pas seulement parce que c’est la rentrée littéraire).
Mais défendre la démarche, la place du récit à la première personne dans « le Dit » de l’Histoire, comme dans la littérature. Le témoignage est forcément partiel, imprégné des affects de l’auteur et composé a posteriori. Peurs, douleurs, doutes et espoirs sont re-sentis d’une façon particulière, le temps de l’écriture. Alors bien sûr le témoignage ne peut prétendre, seul, à dire l’Histoire, il est une voix, un faisceau, il ne se substitue à rien mais il est plein, jusque dans ses creux, ses manques, ses doutes. Il est une histoire racontée, mais avec sa vérité.
Le livre que je ne voulais pas écrire narre des vérités. Celles de l’auteur mais aussi celles de proches qu’il a invités à écrire des « Vu du dehors » comme il les a nommés. Les vues de celles et ceux qui autour de lui ont vécu les évènements que la France entière a vécus, de leur bout de la lorgnette, orienté vers lui bien souvent, l’ami, le fils, l’amant, dont on ne sait pas si il est toujours vivant, pendant des heures terribles que tant ont traversées, suspendus.
La mosaïque de voix ainsi composée est belle, sans autre orchestration que leur placement dans le récit, soulignant ce dernier, lui donnant les couleurs qui lui manqueraient sinon et contribuant pleinement à la construction de l’objet littéraire. Et puis ces mots sont comme une façon de plus pour l’auteur de dire qu’il sait les limites de son propos. Il les étire ainsi, les distend, jusqu’à atteindre une forme d’honnêteté salutaire.
Erwan Larher mêle les tonalités avec un grand naturel, sans coquetteries, sans fausse pudeur non plus. Il se moque de lui-même tout en assumant de se tourner autour, pas du nombril, mais de tout ce qu’il est et de tout ce qu’il croyait être, avant que…
La description des événements tels qu’il les a vécus est aussi bouleversante qu’haletante. Sa façon de donner un visage humain aux terroristes est bluffante de résilience et met en valeur la banalité du mal. Les monstres sont des humains. En l’humain des monstres peuvent jaillir. Rien que pour cela, le livre remue mais fait du bien.
Larher donne sa conception de ce qui nous a amené là, sans volonté de vengeance ni excuses, aussi lucidement qu’on puisse l’être quand on a essayé de vous tuer, vous et toutes les personnes autour de vous, pour venger absurdement des morts dont vous n’êtes pour rien.
Victime ? Oui, sans aucun doute, mais le propos dépasse largement cette dimension pour donner à lire comment on se soigne, corps et âme, bien avant les mots puis avec eux, seul, avec le corps médical et avec l’amour. Toujours.
Le livre que je ne voulais pas écrire vient de paraître chez Quidam Éditeur. Un livre magnifique, important, unique.
Erwan Larher
Quidam Éditeur
269 pages.
Héloïse