Evelina Santangelo sort son premier roman traduit en français aux éditions Les Allusifs, qui a su trouver ce petit bijoux de littérature à la syntaxe chantante, qui nous parle de la Guerre des Balkans et de l’adaptation de l’être humain qui n’a plus que ses rêves et ses souvenirs auxquels se rattacher.
On y suit le jeune Jon Scripcaru, exilé de son pays natal et vivant dans un hangar désaffecté au coeur d’une ville de Sicile. Travaillant dur dans un chantier sous le froid mordant de l’hiver comme sous le soleil accablant du plein été et charriant soir après soir une mystèrieuse plateforme entre les étales des commerçants afin de récupérer les restes de nourriture qu’il peut trouver. Les villageois le regardent manoeuvrer d’un mauvais oeil, sauf la vieille femme toujours campée sur sa chaise de plastique rouge qui l’attend avec impatience, s’attachant à ce personnage au physique atypique surnommé “Le Blond”.
Très vite, on apprend la nature de son secret; Youri Anton Jon Scripcaru. Sous ce nom à la sonorité mélodieuse se cache un ours brun dont le jeune homme s’occupe avec ses maigres moyens, se privant du peu qu’il a pour le lui céder afin d’en faire un ursidé acrobate, comme ceux qu’il voyait lorsqu’il était enfant, dressés par les tziganes et faisant leurs spectacles sur la place de son hameau chéri des Balkans.
Peu à peu, à travers des éclipses qui ponctuent le texte, on découvre ce qui a poussé Jon à atterrir ici, loin de sa terre natale et de ses racines, ainsi que la signification du nom de son trésor et compagnon sauvage, hommage à ses proches disparus qui hantent encore son coeur.
“Tu crois qu’on va y arriver?”
Oui, si Dieu le veut.
“Et s’il ne veut pas?”
Alors on se débrouillera tout seuls en nageant avec ce qu’on a.
“Et qu’est-ce qu’on a?”
Des bras, des jambes, un ventre, des mains, il y a de quoi faire.
“Mais je ne sais pas nager.”
Si c’est ça, moi non plus.
“Et alors?”
On apprendra. On ne peut pas se noyer…dans une mer aussi belle.
Malgré les difficultés qu’il rencontre et l’animosité froide des autres qu’il essuie parfois, il ne renonce pas à son rêve: que son ours apprenne à monter à vélo. Ce but farfelu, d’abord perçu comme impossible par les gens qui l’entourent, va finalement devenir une utopie commune qui réunira les coeurs dans une seule attente. Pour Jon il s’agit peut-être d’une tentative désespérée de retrouver un peu de la joie de son enfance et de faire honneur à sa famille qui lui a toujours appris à ne pas fléchir devant les obstacles et les hommes, mais quoiqu’il en soit ce “Blond” ralliera à ses côtés les plus sceptiques, sorte de faiseur de rêves dégingandé et loqueteux qui souhaite au final partager un peu de la magie d’un spectacle qu’il chérissait tant.
“Il sourit en cachant derrière sa main la carie qui trouait son incisive, semblable à un vide entre des dents de lait. “Tu exagères!” dit-il en détachant chaque syllabe avec la fierté de celui qui vient d’apprendre un mot difficile. “Tu exagères”, répéta-t’il avec cette voix incongrue d’enfant. Puis il se blottit sur les genoux de son père. “Sombrer” aussi était un mot difficile avec un trou trop noir au milieu…”
Etrange et poétique, Le Jour des Ours Volants se lit comme un conte. Evelina Santangelo nous livre un récit poignant par la simplicité de sa syntaxe, la justesse empathique de sa plume ainsi que les situations et les états d’âmes qu’elles nous transmet en quelques mots seulement . Entre passé à la fois rassurant et terrible, présent plein de dureté et d’espoir, c’est une fable au parfum de récit de combat où l’on découvre par bribes la vie d’une victime de la guerre des Balkans.
Avec son sens du détail et sa capacité à traiter de l’horreur la plus pure comme du bonheur le plus innocent d’un air de rien, elle nous dévoile une étonnante facilité à transmettre une émotion que l’on sent à chaque mot, comme si c’était notre propre voix intérieure qui nous lisait ces lignes. Des phrases laissées en suspend, une incroyable douceur qui s’épanche sous nos yeux, une sorte de Petit Prince en plus grand et plus réel. En plus ours.
Le Jour des Ours Volants est un récit empreint d’une nostalgie triste et belle à la fois, un spectacle que l’on croyait pourtant impossible à exécuter sous la forme d’un magnifique livre.
“celui qui vous dit que le sud est amer/ ne vous dit pas la vérité/celui qui vous dit que le sud est riche/ parle de ce qu’il ne connaît pas/seul celui qui vous dit de venir voir/ est digne de confiance./ ce qui est loin n’a pas de sens/ les peines qu’on ne voit pas n’ont pas de poids/ les étrangers n’ont pas d’yeux./ je vous dit qu’il faut venir/ si vous voulez parler du sud./ si vous n’êtes pas aveugle/ si vous n’êtes pas ennemi/ si vous n’êtes pas éloigné/ il suffira de regarder/ pour ne pas vous taire.”
Editions Les Allusifs
237 pages
Caroline