Alors que la gentille Aurore et Hector le prince charmant prennent tranquillement le thé, le plafond commence à dégouliner et les murs à suinter autour d’eux. Les deux amoureux et leurs voisins sont obliger de s’enfuir de leur logis, qui se révèle être le cadavre abandonné et en décomposition d’une fillette. Les petits êtres se voient alors contraints de survivre sans leur douillet et chaleureux palais de chair. Aurore essaye de mettre en place un esprit d’entraide et de communauté, Hector, lui, préfère jeter des coups d’oeils aux demoiselles et se prélasser et Plim, meilleur ami de la protagoniste principale, semble soudain avoir un fort penchant pour l’égoïsme et l’hypocrisie.
Au fil des pages, le lecteur découvre le quotidien de cette étrange communauté, dont la plupart des habitants finissent assez mal, tués par leur curiosité, leurs bêtises ou encore par la cruauté de leurs compagnons. C’est ainsi que la douce et timide Timothée se voit enterrée vivante dans une trousse à crayon pour avoir commis le crime d’être différente de ses amies, et que les triplées meurent les unes à la suite des autres de manières atroces, sans que cela ne chagrine aucune. D’ailleurs, les personnages tombent comme des mouches sans qu’ à aucun moment leurs amis et voisins ne s’en soucient, chacun pensant à sa propre petite personne.Au milieu de tout ça, Aurore apprend à découvir le monde qui l’entoure, se liant d’amitié avec une souris, domptant un rouge-gorge à l’aide de son amie Jane, seule personne à vraiment voir la méchanceté et l’égoïsme dont font preuve de manière croissante les minuscules créatures.
Derrière l’aspect onirique des planches à l’aquarelle et les petits êtres mignons qui renvoient délibérément à l’univers de l’enfance, cette BD met à nu et sans détour les facettes du tempérament humain primitif; admiration du plus fourbe, brimade du plus faible, exclusion du simplet et servitude du plus empathique. A l’image du corps dont on suit la décomposition tout au long de l’ouvrage, la véritable nature de chacun commence à suinter et à nécroser doucement le climat d’entente et d’entraide auquel croit l’utopiste Aurore, laquelle perd également peu à peu son innocence et ses espoirs.
Les quatre auteurs nous présentent des planches aux couleurs lumineuses, un design de personnages attachants et une narration brève et juste, qui réhausse d’autant plus la fatalité des actions qui s’enchainent. A la manière des enfants, ils annoncent des faits, les déroulent sans faux détours ni chichis, par souci de simplicité et de franchise, créant un véritable impact sur le lecteur. L’histoire, loin d’être cousue de fil blanc, saute d’une scène à l’autre sans prévenir, ce qui change des compositions habituelles. La vie y est décrite simplement, comme elle se passe. D’ailleurs, les auteurs n’en dévoilent pas plus sur ces étonnantes apparitions, qui sont-ils? Les traits de caractères dissociés de la fillette morte? Une représentation de ses rêves et de ses cauchemars? Au lecteur de se faire son propre avis.
Tout au long de cette BD, un étrange sentiment de malaise s’instaure, qui reste longtemps après avoir refermé le livre. Voilà un petit trésor de conte cruel, macabre et darwinien, qui fait réfléchir tout en créant un vague et persistant malaise et qui porte sans détour le lecteur au plus profond des méchancetés puériles de l’humain.
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