En littérature, il y a les contemplatifs et ceux qui ont faim. La Faim, parfois juste Faim, roman de 1890, appartient indubitablement à la seconde catégorie. Ecrit par le prix Nobel Knut Hamsun, ce roman monologue laisse entrevoir la folie de l’écrivain affamé mais préfigure également la littérature moderne.
Stockholm, fin du XIXe siècle. Le narrateur est un écrivain qui vivote. Entre deux chroniques, il tente de survivre, alliant visite chez Ma Tante et nourriture spirituelle pour tromper sa logeuse et la faim. Rapidement, il se retrouve à la rue, seul et démuni. Tout au long des 258 pages du texte, il nous laisse entrevoir l’impact de la faim physique sur un homme. Il la maudit et l’adore. Fait de celle-ci un procédé créatif mais également un cancer inéluctable.
J’étais étendu les yeux ouverts, dans un état singulier ! j’étais absent de moi-même, et je me sentais délicieusement loin.
Chaque rencontre est une nouvelle histoire, réelle ou rêvée, qu’il tente de coucher sur papier. Espérant ainsi améliorer sa situation actuelle. La faim le rend divaguant, excessif, parfois proche de la folie. Malgré cela, notre écrivain s’accroche intensément à sa dignité, refusant toute aumône, n’hésitant pas à offrir à d’autres le peu qu’il a.
J’avais remarqué très nettement que si je jeûnais pendant une période assez longue, c’était comme si mon cerveau coulait tout doucement de ma tête et la laissait vide
Si ce roman n’est pas celui qui lui valu le Nobel, Faim est pourtant un grand roman. Résolument moderne dans le style, Knut Hamsun donne un avant-gout de l’existentialisme. Il décrit parfaitement le caractère obsessionnel du pauvre hère, malheureux qui pourrait être chacun de nous. Sa douce folie résulte-t-elle de sa situation désespérée ou est-ce l’inverse ? Physique et mental restent indissociables, le second ne pouvant survivre sans le bon fonctionnement du premier. Toutefois, la limite entre réelle déchéance et auto-flagellation est parfois floue, nous interrogeant sur l’attrait du malheur. L’artiste doit-il être forcément un homme torturé ?
11/13 éditions,
traduction de Georges Sautreau,
260 pages,
Aurore