La collection « Fictions d’Europe » créée par les Éditions La contre allée avec la collaboration de la MESHS s’enrichit de deux nouveaux ouvrages. Pour la première fois dans cette riche série de courts textes ne dépassant pas les 130 pages, on peut lire des textes d’auteurices non-européens. Il s’agit de la Québécoise Catherine Mavrikakis et de l’Argentin Eduardo Berti. Certes, ce sont deux personnes aux origines liées au vieux continent, mais les deux textes apportent à leurs manières un regard nouveau sur ce qu’est l’Europe à travers le monde.
Impromptu de Catherine Mavrikakis est d’une redoutable efficacité. Ce court roman raconte l’histoire d’une jeune étudiante en littérature allemande. Le livre commence avec une rencontre surprenante entre cette jeune étudiante Caroline Akerman-Marchand et son professeur Karlheinz Mueller-Stahl. Celui-ci se retrouve empêché devant un distributeur de monnaies et supplie de façon un peu autoritaire sa jeune étudiante de lui prêter de l’argent pour qu’il puisse vaquer à ses occupations habituelles.
Cette rencontre va être décisive dans la vie de Caroline, qui par la suite aura une relation privilégiée avec ce professeur à la fois sévère et attendrissant. Ce que reflète cette relation est finalement une allégorie, sans trop forcer, des liens qu’entretient le vieux continent avec les territoires qu’il a cru découvrir. Il apparaît dans ce cours texte de Catherine Mavrikakis quelque chose de la condescendance européenne, de ce qui s’est tissé par la force et ce qui perdure malgré tout entre l’Europe et les autres continents. Les choix de Caroline Akerman-Marchand sont ceux d’une pacification et d’un nouvel élan nécessaire pour dépasser l’ethnocentrisme européen.
Eduardo Berti propose dans Un fils étranger un texte plus intime. Ce livre est la suite d’Un père étranger paru chez le même éditeur en 2020. L’écrivain argentin y raconte son séjour à Galati en Roumanie à la recherche de l’identité que son père a caché pendant longtemps. Celui-ci s’est exilé de Galati pour aller en Argentine construire une autre vie. Cet exil fait d’office les Berti, nom créé par ce père, une famille étrangère à chaque pays, que ce soit l’Argentine, la Roumanie ou la France où vit actuellement l’écrivain. Cette identité vacante hante ce récit et propose une autre lecture de ce qui constitue une culture.
En effet, Eduardo Berti, dans ce voyage à Galati, découvre bien plus la complexité de ce qui constitue une identité que de son essence. Un fils étranger est ce constat qui se rattache fortement à l’exercice même de la littérature. Déjà dans Un père étranger, Eduardo Berti mêlait sa vie et la vie de son père à celle de l’écrivain Joseph Conrad. La littérature raisonne avec la thématique de l’identité puisqu’elle se fait par une réflexion constante. Elle se construit par des tissages parfois si profonds qu’ils en sont insondables. Ce livre est aussi un livre à résonance multiple, à la fois récit intime et carnet de voyage dans une Europe au lourd passé. La littérature est parfois le meilleur moyen pour apaiser le trouble et établir un nouveau rapport à soi et aux territoires que nous peuplons.
Impromptu Catherine Mavrikakis
96p
Un fils étranger Eduardo Berti
Traduit de l’espagnol (Argentine) par Jean-Marie Saint-Lu
128p
Adrien