C’est fascinant de découvrir un auteur, l’auteur d’une œuvre gigantesque, de référence – autant adulée que crainte de par son ambition – par ses débuts. Prendre son chemin initiatique, ce qui a mené l’auteur jusqu’à cette apogée et qui dès lors l’accompagnera jusqu’à la fin de sa vie, même lui survivra.
Bien entendu, il serait totalement hasardeux de faire que des rapprochements et chercher avant tout les points de connexions. Certes, il y en a, mais ce serait trop réducteur. Ici, nous découvrons un auteur, aux ambitions précoces, qui le jour de ses huit ans savait qu’il allait devenir auteur.
Donc il est fascinant de découvrir un auteur à ses balbutiements, ses premiers essais, l’expression de ses univers, car encore multiple, mais aussi découvrir son éducation narrative et la construction de son écriture. Ici, tout se développe et prend son temps. Rien est inné, tout est travaillé. Comme Frank Herbert le dit dans sa préface : “L’écriture,on se l’enseigne. On l’apprend sur le tas. La connaissance vient de soi et s’appuie avec insistance sur la tradition orale de la langue, au désespoir de tous ceux qui voudraient un processus ordonné aux règles explicites.”
Ainsi s’effacent les Dunes d’Arrakis pour laisser place aux univers de Frank Herbert. Car l’oralité aura sacré son œuvre majeur mais aura fini par laisser sur le bas côté les autres oeuvres de son auteur.
Paru de manière plus confidentielles, certaines nouvelles avaient bénéficiées d’une sortie française. Comme le recueil « Champ mental », qui tire son nom de la nouvelle. Mais jamais nous avions eu le droit à l’intégralité des écrits dans ce format de Frank Herbert.
Ainsi, en 2021, sous la direction de Pierre-Paul Durastanti, le Bélial nous propose de corriger ce manque en sortant l’intégral des nouvelles de l’auteur en deux tomes ( le second sortant fin Aôut 21) dans la collection Kvasar d’Olivier Girard.
Ce premier tome revient sur la période 1952-1962 de l’auteur et les dix-neuf nouvelles écrites durant ces années. Dix-neuf nouvelles proposant quasiment autant d’univers différents. Ainsi, nous pouvons d’ores et déjà souligné que oui, bien évidemment nous apercevons le questionnement sur les puissances armes modernes et sur l’effondrement de l’utilisation de ces dernières au bénéfice d’armes blanches, là nous découvrons des castes féminines puissantes et mystérieuses, enfin nous pouvons aussi entendre parler de prescience et de Psi. Mais vous pourrez également être surpris par des mondes simulacres, des humanoïdes simulacres, des entité extra-terrestres aux modes de reproduction et de communication bien étranges. Vous pourrez conspirer contre des civilisations et imposer une paix….Par la force.
Ce recueil regorge de richesses insoupçonnées, d’œuvres d’une profondeur et d’une clairvoyance rare qui font échos avec des auteurs d’aujourd’hui comme Ted Chiang ou encore Adam Roberts. Frank Herbert était un visionnaire, si ce n’est LE visionnaire en chef de la sacro-sainte triade Philip K Dick, Ursula Le Guin et donc Frank Herbert.
En parlant de ces auteurs, il est surprenant de découvrir des similitudes de questionnements et de fonds entre ces trois. D’un côté les mondes simulacres, les conspirations et le libre-arbitre avec Philip K Dick, de l’autre l’anthropologie, l’expension de l’homme dans l’univers ou encore le reconditionnement des colonies oubliées et la question du langage avec Le Guin.
Il faut lire ce recueil de nouvelles, car Dune, car Frank Herbert, mais aussi ET surtout il le faut absolument pour ce qu’il propose. Dix-neuf nouvelles passionnantes, intelligentes, riches et profondes, des propositions de science-fiction d’une élégance rare ainsi que plusieurs Sens of Wonder garantie et mémorable.
Prenons le pari qu’en cette fin d’année, le recueil en deux tomes finisse dans pas mal de coup de cœur annuel !
Bravo au Bélial et vivement le tome 2 !
Le Bélial éditions,
collection Kvasar,
trad. Vincent Basset, Jean-Michel Boissier,
Pierre-Paul Durastanti, Claire Fargeot,
Dominique Haas, Jacqueline et Michel Lederer.
480 pages,
Ted.