Freycinet est un roman de Mélanie Calvert, publié en 2012.
Freycinet fait partie de la tradition qu’on appelle ‘Tasmanian Gothic’. Si vous vous attendez à des vampires, à Frankenstein et à des fantômes buvant du thé, vous allez être déçus. ‘Tasmanian Gothic’ s’apparente plus au ‘Southern Gothic’ des Etats-Unis qu’au gothic anglais.
Le ‘Tasmanian Gothic’ est inspiré par le paysage mystérieux et fascinant de Tasmanie (une petite île au sud de l’Australie) qui a intrigué et effrayé les premiers colons européens. La Tasmanie est une île formée de contrastes : les visiteurs passent sans transition de jolis jardins à l’anglaise aux gorges sombres et menaçantes. Loin des clichés des brochures touristiques, Mélanie Calvert nous présente un paysage sauvage, prêt à dévorer les humains qui oseraient s’aventurer en son sein.
Le ‘Tasmanian Gothic’ est également inspiré par l’histoire coloniale de l’île. Ce n’est pas vraiment une histoire très engageante. En effet, l’histoire de la Tasmanie est tachée par le génocide des Aborigènes orchestré par les colons européens. L’horreur de ces massacres transforme le paysage paradisiaque en terre de cauchemars.
La Tasmanie a souvent été considérée par les Australiens comme une île de dégénérés et de consanguins à cause de son isolement. Ce huis-clos a en effet été le spectacle de plusieurs histoires ignobles, en plus du génocide des Aborigènes, comme l’histoire d’Alexander Pearce. Alexander Pearce avait été déporté en Tasmanie depuis l’Irlande. Il s’est évadé avec plusieurs compagnons d’infortune et a été plus tard retrouvé seul. Il s’est ensuite avéré qu’il avait dévoré ses compagnons pour survivre dans la nature.
Votre humble narratrice ne vous raconte pas toutes ces histoires pour vous choquer ou vous effrayer inutilement. Toutes ces informations sont nécessaires pour vous prouver que la Tasmanie est l’estrade d’une tradition macabre sur laquelle Freycinet repose.
L’intrigue du roman est elle-même assez simple : un jeune couple, Julian et Ginny, sont en quête de l’endroit idéal pour se marier. Ils visitent donc le parc national de Freycinet. Or, lors de leur séjour, deux jeunes femmes disparaissent sans laisser de trace. Ginny insiste pour qu’ils joignent les battues organisées pour les retrouver, sans savoir qu’elle va retrouver bien plus que les deux jeunes femmes.
Vous allez dire à votre humble narratrice que vous avez déjà lu ce genre de roman policier des milliers fois. Ce à quoi votre humble narratrice vous oppose que vous n’avez pas encore lu de romans policiers en Tasmanie.
Evidemment, tout ne va pas se passer comme prévu. Ginny ne va pas juste traverser les brousses tasmaniennes en se demandant où sont ces pauvres demoiselles et il ne va pas s’avérer que les deux pauvres victimes s’étaient en fait simplement perdues et tout reviendra dans l’ordre.
Au premier abord, Ginny est une héroïne plutôt décevante : elle n’a pas vraiment l’air spéciale, physiquement, elle n’a rien d’exceptionnel, elle est presque femme au foyer, essayant d’écrire un roman, elle est en couple avec Julian depuis presque six ans… Bref, Ginny semble être le Jonathan Harker du roman : le narrateur idéal pour laisser au lecteur la possibilité de tout observer sans être influencé par un point de vue trop marqué. Evidemment, nous avons tort. Le point de vue est le problème central du roman.
Très vite, le lecteur verra Ginny être victime de rêves étranges et d’hallucinations visuelles et sonores, mettant en question tout ce que la jeune femme voit et entend. Par conséquent, tout ce que nous voyons et entendons est également remis en question. Pas très évident pour une enquête policière, n’est-ce pas ?
La petite vie tranquille que Ginny mène est aussi très vite remise en question : il se trouve que Julian, malgré sa fortune et ses airs de beau, n’est pas vraiment le mari idéal. Il l’était jusqu’à cet évènement mystérieux six mois auparavant qui l’a transformé complètement.
Deux enquêtes qui semblent parallèles : qu’est-il arrivé à Julian ? et qu’est-il arrivé aux deux jeunes femmes ? vont peu à peu se rejoindre.
Cette intrigue glauque est comparée de nombreuses fois à des contes de fées, tels que Les Chaussures Rouges et La Sylphide. Ces comparaisons paraissent anecdotiques mais sont en réalité cruciales pour le dénouement. Et pour compléter ce roman déjà génial, vous pourrez y trouver plusieurs références à Twin Peaks, la série de David Lynch.
Cependant, même si l’enquête est passionnante et vous tiendra en haleine, ce qui fait de Freycinet un superbe roman et non pas uniquement un bon thriller, est sa location.
Votre humble narratrice peut vous assurer que vous n’avez jamais vu la mer être décrite de cette façon. Elle est décrite comme une palette où un peintre aurait étalé plusieurs couleurs sans vraiment savoir ce qu’il allait en faire. La plage de sable blanc qui vous fait rêver sur les brochures devient une plage de sable blanc comme neige et tout aussi froid. Le climat de la Tasmanie n’est pas celui des grands déserts d’Australie : la Tasmanie est proche de l’Antarctique et les hivers sont rudes. Mélanie Calvert décrit également les montagnes, the Hazards (qui veut littéralement dire ‘les dangers’ en anglais), comme de la chair torturée avec une ingéniosité que votre humble narratrice a rarement vue. Les descriptions du paysage sont une des raisons principales de lire ce roman.
L’auteur offre également au lecteur quelques chapitres sur l’histoire de la Tasmanie ainsi que des passages presque documentaires sur le paysage et la tradition des histoires d’horreur liées à l’île. C’est une lecture qui vous fera littéralement voyager jusqu’à cette petite île entourée de mystère.
Il n’y a pas encore de traduction en français, malheureusement, mais votre humble narratrice a découvert avec beaucoup d’enthousiasme que Mélanie Calvert va collaborer avec Geoffrey Wright, un célèbre réalisateur australien, pour une adaptation sur le grand écran.
La photo de couverture est une photo des Hazards, histoire de vous donner un aperçu de l’ambiance.
330 pages
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Anne-Victoire.