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Futhi Ntshingila Enrage contre la mort de la lumière couverture

Futhi Ntshingila – Enrage contre la mort de la lumière

À tout juste quatorze ans, Mvelo a déjà été confrontée à bien des épreuves. Bien que sa mère, Zola, et elle-même aient connu des périodes heureuses, elles vivent à présent au milieu d’un bidonville situé aux abords de Mkhumbane, le ventre souvent tordu par la faim et la peur. Alors que Zola s’accroche à la vie depuis des années, rongée par le VIH et un manque de soin la condamnant chaque jour un peu plus, Mvelo assiste impuissante à ses souffrances.
Pourtant, quand sa mère était jeune, elle était promise à un brillant avenir, à une vie sûre et confortable, peut-être celle d’une athlète de haut niveau. À aucun moment elle n’aurait pu s’imaginer devoir lutter chaque instant pour survivre dans un campement de fortune, à l’ombre des grandes villes, vivant des déchets laissés par les familles aisées. 

C’est toute une société fondée sur les inégalités et la violence, encore très marquée par les conséquences de l’apartheid, qui les a jetées ici : le déni des familles traditionnelles qui rejettent plutôt qu’elles n’aident, le manque d’information de l’époque autour du Sida, la culture du viol qui brise chaque jour encore la vie de nombreuses petites filles… En leur condition de femmes pauvres, Zola et Mvelo sont les premières victimes de ce système.

Autour de leur noyau commun, gravitent d’autres personnages. Il y a Sipho, l’homme qui leur a apporté à la fois le meilleur et le pire dans leurs vies. Le pasteur, terrible prédateur déguisé en agneau, qui va enfermer la voix de Mvelo dans un étau de honte et d’injustice. Et puis il y a Nonceba, une femme avocate, fière de ses racines et de l’histoire de son peuple, dont le caractère intraitable, mystérieux et aigu lui donne la réputation de sorcière. Le destin de cette dernière va se heurter plusieurs fois à ceux de Zola et de sa fille, pour au final s’y entremêler étroitement, dans le plus surprenant des dénouements.

« La langue Nguni méridionale est une chose merveilleuse. Pourquoi veux-tu te faire passer pour un américain à la noix ?
« Tu descends d’une longue lignée d’un peuple fier, mais au lieu de cela, tu as choisi la voix d’un faux accent et d’une existence déracinée. Tu emploies un langage parsemé de putain par-ci, putain par là. Vous croyez que c’est trop cool de vous traiter les uns les autres de « nigga » à tout bout de champ. Sais-tu seulement la souffrance qui pulse au fond de cette langue hybride que tu as adoptée et revendiquée pour tienne ? »

« Sabekile, qui commençait tout juste à marcher, demeurait une grande source de joie pour Mvelo. La fillette adorait chanter, dans son étrange sabir mêler de zoulou, d’Anglais, d’afrikaans, et de xhosa, elle réclamait aussi des chansons à Mvelo.  Un jour d’été pluvieux typique de Durban, elle courut dehors, ses petits bras écartés, et dit : « Regarde, maman, les bisous de Dieu ! » La gorge de Mvelo se serra tant ça lui rappelait sa mère. C’est exactement le genre de choses qu’aurait dit Zola. Elle alla la rejoindre, pour tournoyer avec elle, les bras grands ouverts, sous l’averse. »

Dans Enrage contre la mort de la lumière, Futhi Ntshingila tisse un portrait féministe et  intergénérationnel au travers de ces personnages, dénonçant leur condition précaire, mais rendant surtout hommage à leur force.
Car il s’agit de femmes fortes qui ne se laissent pas abattre par les coups qui leur sont portés, qui soutiennent le fardeau des hommes et continuent à avancer, la tête haute. Elles mordent la poussière, sont piétinées et laissées pour mortes, mais elles se relèvent toujours et s’entraident du mieux qu’elles le peuvent.

Ce roman sonne terriblement juste et donne un aperçu du quotidien de figures souvent volontairement oubliées, «  Aux enfants qui vivent aux marges de la société et dont les difficultés sont colossales. Vos voix comptent. », dont les destins ne sont pas forcément toujours linéaires.
n effet, les existences de Zola ou Mvelo sont marquées par des dynamiques réalistes, des hauts et des bas. Parfois, la vie semble être d’une impitoyable cruauté envers elles, pour ensuite se montrer d’une infinie douceur quelque temps plus tard. Mais pour surmonter ces épreuves, elles doivent faire preuve d’une résilience et d’un courage titanesques, lutter sans cesse contre la précarité et les abus physiques ou moraux. 

Enrage contre la mort de la lumière est un livre qui redonnent la voix à celles qu’on a forcées à se taire. À celles qui sont enfermées dans la pauvreté, celles qui survivent en faisant front quotidiennement à la violence des inégalités, qu’elles soient de genres ou de conditions. C’est une lecture douloureuse, mais d’un incroyable éclat.

«D’abord, Mvelo fut suis prise de court, mais elle se rappela la Nonceba d’antan, ses manières excentriques qui l’avait tant aidée quand elle était petite et manquait d’assurance, et elle décida donc de lui faire confiance. Au début, elle se montrait timide, mais voir Nonceba lâcher complètement prise l’aida à surmonter ses inhibitions et elle hurla à s’en casser la voix. Elles profanèrent le silence tranquille du vaste océan.

Puis elle se mit à rire. Elle rit encore et encore, sans pouvoir s’arrêter, jusqu’à à couler au fond du bateau où elle pleura toutes les larmes de son corps puis fuit envahie par une paix étrange.»

 

« Les hommes bons, passée la dernière vague, criant combien clairs
Leurs actes frêles auraient pu danser en un verre baie
Ragent, s’enragent contre la mort de la lumière.
[…]

Les hommes graves, près de mourir, qui voient de vue aveuglante
Que leurs yeux aveugles pourraient briller comme météores et s’égayer,
Ragent, s’enragent contre la mort de la lumière. »
N’entre pas sans violence dans cette bonne nuit, poème de Dylan Thomas 


Futhi Ntshingila Enrage contre la mort de la lumière image

Belleville éditions
Traduit de l’anglais (Afrique du Sud) par Estelle Flory
197 pages
Caroline

À propos Caroline

Chroniqueuse

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