My Absolute Darling de Gabriel Tallent vient de paraître aux Éditions Gallmeister. Huit années d’écriture pour un premier roman comme on en lit peu.
L’histoire d’une jeune fille de quatorze ans et de son père, Martin, vivant isolés entre océan et forêt en Californie du Nord.
En quelques mots cela pourrait se résumer ainsi:
Entre mer et terre, Turtle porte le monde.
La mère est morte dans l’océan, sur terre le père est tout puissant.
Il se défie du monde, pense faire de sa fille la survivante d’une société qui va s’écrouler.
Armée jusqu’aux dents elle est pourtant sans défense. Le pouvoir de son père est sans limite.
Turtle porte l’immonde.
C’est à lui qu’elle doit survivre. À sa folie, à cette possession qu’il nomme amour.
Entre océan et forêt, une jeune fille sauvage prise au piège entre l’univers clos et oppressant d’un homme en forme de dieu jaloux et l’appel du dehors et de l’autre, qui lui sont interdits.
Une lutte totale avec à la clé, une mort ou une naissance, peut-être bien les deux.
Gabriel Tallent nous emmène jusqu’au plus profond d’une vie maltraitée. Il écrit le trauma, l’ambivalence, la résilience, avec profondeur et lucidité. Il n’hésite pas à dire, n’épargne rien au lecteur, car c’est à ce prix que Turtle vit en nous, qu’elle se fait chair et sang, corps et âme.
Sa langue est aussi réaliste que poétique. Les passages en forêt sont envoûtants, la nature y est magnifiée et apporte un contraste très fort entre la fille du monde et le destructeur.
Turtle, née Julia, fascine celles et ceux qui croisent son chemin. Anna tout d’abord, sa professeure, qui sent bien que le monde de son élève ne tourne pas rond mais qui ne sait comment atteindre la jeune fille terrée sous sa dure carapace. Puis Jacob et Brett, les deux garçons perdus qu’elle abrite une nuit dans une souche et qui tenteront de lui faire une place dans leur monde, bourgeois ou néo-hippie, en sécurité. En vain.
C’est elle qui devra protéger le monde de son enfer et ce n’est que pour sauver d’autres vies qu’elle se résoudra à tenter de sauver la sienne.
Turtle est mythologique, tragique. Dure et terriblement fragile, vulnérable et indestructible. Turtle est humaine, si humaine. Inoubliable et que l’on aime jusque dans son déni, jusque dans le trouble de son ambivalence, jusque dans la douleur de la voir souffrir en silence, résister dans sa passivité, accepter dans sa révolte, prenant petit à petit le pouvoir sur le monstre qu’elle aime plus qu’elle-même.
Des paradoxes qui disent défense, protection, instinct de survie et amour. Amour malade mais amour malgré tout.
Le monstre. Le pire qui soit. Le plus faible aussi. Le père.
De lui on sait le deuil d’une femme, la rancœur contre son propre père, des blessures anciennes, un rejet complet de la société. Mais rien pour expliquer. Rien n’explique ni ne peut pardonner l’horreur de ce qu’il dit, de ce qu’il fait.
Et pourtant. Humain trop humain lui aussi. Sans aller jusqu’à susciter l’empathie, l’auteur a su lui insuffler juste ce qu’il fallait pour que l’on comprenne l’amour de sa fille, poussant le trouble à son comble.
Pas de happy end. La vie, rien que la vie. Incertitudes, douleurs, doutes. Mais la vie envers et contre tout.
Turtle porte le monde. Entrez dans le sien et il est fort probable qu’elle vous hantera longtemps.
Gabriel Tallent fait une entrée impressionnante de maîtrise dans la littérature contemporaine américaine. En librairie depuis le 1er mars.
Éditions Gallmeister
Traduction de Laura Derajinski
464 pages
Héloïse
J’ai envie de dire que ce livre ” sent le vécu”. Mais il est écrit par un homme …
Je l’ai lu jusqu’au bout mais j’ai été terrifiée dès le départ !
” trauma, ambivalence, résilience” dit Héloïse, c’est exactement cela.