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Gauz’ – Cocoaïans

Avant de se retrouver empaquetée et siglée, dénaturée par des additifs et bourrée de sucre, la poudre de cacao a fait un bien long voyage. Si autrefois, les Aztèques la vénéraient, aujourd’hui elle est transformée et consommée de façon presque machinale sous forme de chocolat, que nous dévorons quotidiennement sans nous questionner sur son histoire.  

Derrière cette denrée à l’allure bien innocente se cache la fresque politique de la Côte d’Ivoire, pays producteur d’un tiers du cacao mondial. Gauz’ en déploie l’évolution dans son dernier roman militant, Cocoaïans, naissance d’une nation chocolat. Tout commence dans un climat colonial, où les Français importent et plantent les premières graines de cacaoyer sur le territoire ivoirien, instaurant ainsi un nouveau schéma d’exploitation des sols et des corps. D’année en année, les paysages sont transformés par l’agriculture intensive jusqu’à en être défigurés, les terres s’appauvrissent et les dos se cassent. Le pays n’est plus libre, les colons ont décidé de le posséder.
Les inégalités fleurissent, marqueurs d’un racisme latent et toujours plus pernicieux que le peuple ivoirien veut surmonter. 

Accuser ainsi de trahison tout ce qui a fait notre essence depuis le temps où l’iroko géant de Gbadi était une pousse fragile dans les herbes ! Vieil homme, les lacérations dans ton dos parlent à la place de l’expérience et de la sagesse que la longévité aurait dû te pourvoir. Toi Djaty Séry, celui qu’on surnommait le divin Zibody, ce n’est pas à moi de te rappeler que les cultures que l’on plante en terre déterminent la culture que l’on plante dans les âmes. Ne plus être qui nous avons été, pour être qui nous ne savons prédire, en réalité, c’est la question que nous pose cette plante, et toutes celles que l’homme blanc nous imposera.

Un conciliabule réunissant six hommes et femmes détenteur·ices de la mémoire et de la culture locale se crée, afin de trouver une solution à cette nouvelle enclave coloniale qui va étendre ses racines sur plusieurs générations. À travers leur plaidoyer, c’est un pan de l’Histoire qui se dessine.
Puis, des années plus tard, c’est un père qui éveille la curiosité de sa fille alors qu’elle croque à pleines dents dans une tablette de chocolat. 

L’auteur extrait également une analogie percutante : entre cacao et cocaïne, il existe en effet quelques similitudes. Outre la terre d’origine des deux plantes respectives, poudre blanche et poudre noire agissent chacune à leur façon sur l’organisme humain. Mais si la première est une drogue dure qui enrichit celles et ceux qui la vendent illégalement, la seconde à beau être réglementaire, elle permet tout juste aux planteur·euses de survivre. Et si l’émancipation de Cocoaland ne résidait pas, entre autres, dans la fabrication non plus d’une matière première, mais d’un produit transformé ?

C’est ainsi que Gauz’ met en lumière l’intéressant parallèle existant entre l’évolution de l’exploitation du cacao en Côte d’Ivoire et les moments forts qui l’ont émaillé, pour le meilleur et pour le pire. De 1908 à un futur dystopique proche, il place en évidence les enjeux politiques mûrissants au cœur des cacaoyers, où éclosent revendications, besoin de justice, guerre civile et coups d’État. 

Pour comprendre dans quel sens coule un évènement qui concerne plus de deux personnes, il faut le plonger dans le fleuve de l’histoire »… Ça nous a pris cette seule phrase pour nous décider. Une faim est passagère, l’histoire est éternelle.
Et moi qui croyais tout savoir sur l’histoire de notre combat.
Vous les hommes, vous avez recousu notre histoire en des pantalons tellement larges qu’avec l’étoffe qui en reste, nous les femmes, on ne peut même pas coudre une minijupe… mais ce n’est pas le sujet du jour.

Ces exploitant·es de la terre encore exploité·es par les grands industriels, dont la culture intellectuelle est sacrifiée au profit du capitalisme qui s’en nourrit ouvertement, ont entre les mains un trésor à la dualité implacable. En effet, il peut s’avérer être une ressource inestimable comme devenir une terrible malédiction…

Si Cocoaïans est court, il n’en est pas moins dense et foisonnant. Doux-amer, ce roman regroupe dans un verbe rythmé et vif les désillusions et l’indépendance d’un peuple. 

Quelle que soit la civilisation, quelle que soit la langue, la question place toujours une syllabe plus haut que les autres. C’est elle qui porte la torche. Car la réponse éclaire, mais c’est la question qui dicte jusqu’où va la lumière.”

Gauz' CocoaïansL’Arche
112 pages
Caroline

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Chroniqueuse

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