Prix Nobel en 1952, François Mauriac fût dans la première partie de son œuvre, l’écrivain des drames de la petite bourgeoisie. Homme du Sud-ouest, il se plait à décrire les atmosphères chaudes et boisées des demeures landaises, mais surtout le caractère impétueux de leurs habitants. Si de Mauriac, on retient surtout Le Nœud de vipères, l’un de ses meilleurs écrits est très certainement l’oppressant Génitrix, publié en 1923.
Chez les Cazeneuve, Mathilde – la femme de Fernand – est alitée, fiévreuse. Mathilde vient de souffrir d’une fausse-couche et va très vite se laisser emporter par une infection, ou peut-être est-ce une maladie du cœur. Mal-aimée par Fernand, Mathilde n’a plus vraiment goût à la vie. Elle préfère laisser sa belle-mère, Félicité, gagner la partie qui se joue pour l’affection du fils.
Si dans un premier temps, Mathilde a cru qu’elle pourrait conquérir Fernand, très vite c’est Félicité, matriarche manipulatrice, qui a repris les rênes du cinquantenaire. Et Mathilde c’est retrouvée confinée dans « le couloir de l’ennemie », loin de son mari. La nouvelle de sa grossesse a failli inverser le jeu, mais la perte de l’enfant – une fille de surcroît – a donné la main à Félicité. Mais voilà, maintenant Mathilde n’est plus là. Tout devrait aller au mieux. Seulement, contre toute attente, l’absence de la jeune femme devient la carte maîtresse du jeu. Fernand en veut à sa mère. Il se persuade qu’elle a tué son épouse par négligence. Les deux alliés deviennent adversaires, et désormais, chacun va tenter d’atteindre l’autre en le blessant…
Dans ce huit-clos, Mauriac tisse et détisse les relations filiales et l’amour inconditionnel. Enfermés dans le carcan de la bourgeoisie terrienne, mère et fils se suffisent, tolérant tout juste la vieille servante. L’amour indéfectible qui les unit devient, avec la mort de la rivale, intolérable. Tout en subtilité mais sans complaisance, Mauriac décrit le basculement des rôles, le renversement du pouvoir. N’épargnant jamais l’égoïsme de ses protagonistes, ni même l’opportunisme des rares invités, il dresse un portrait sombre d’une famille médiocre. De la mère qui donne la vie à celle qui l’empêche, de la presque-mère à l’épouse maternelle, Mauriac fait de ces femmes des monstres, des Genitrix : des déesses de la maternité et du foyer, qui comme toute déesse ne supportent la demi-mesure.