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Goliarda Sapienza – Les Certitudes du doute

“Tu sais Roberta, maintenant que je t’ai revue “dehors”,  je comprends que ce que j’ai ressenti à Rebibbia la première fois où je t’ai vue était vrai…” Je mens comme tous les amoureux! “J’ai senti que parmi toutes les raisons inconscientes ou pas qui m’ont poussé vers la prison il y avait aussi, et peut-être était-ce la plus importante, celle de te rencontrer.”

Les Certitudes du doute est le récit d’une passion, celle de Goliarda Sapienza pour une jeune révolutionnaire qu’elle a connu en prison. Goliarda a retrouvé “le monde du dehors” depuis plusieurs mois déjà quand elle croise Roberta par hasard au palais de Justice. Cette rencontre la trouble profondément et la plonge dans un débat intérieur continuellement ravivé par de nouvelles découvertes sur son ancienne compagne de cellule et sur elle-même. Ce qui est invisible entre quatre murs ne l’est pas forcément en dehors. À l’extérieur, le contexte n’est plus le même et chacune a retrouvé son univers respectif, ses habitudes, bonnes ou mauvaises…

“Je n’écoute plus, tandis qu’une étrange sueur m’envahit l’échine à la révélation qui m’a été balancée dessus si simplement… Comment est-ce possible? me dis-je, cependant que – malgré moi – mon esprit repart anxieusement en arrière pour rechercher dans le passé quelque attitude suspecte dans le comportement de Roberta, qui peut-être, dans l’exaltation typique de tous les débuts de relation, que ce soit d’amour ou d’amitié, m’avait échappé… Mais je ne trouve rien, ou ce rien est seulement le typique vide confusionnel qui saisit quiconque est brutalement atteint par un malheur ?”

Dès le premier jour où elle l’a vu et entendu, Goliarda a été fascinée par “cette blondinette” au “visage de biscuit” dont la voix et le discours sont ceux d’un chef. Entre mystification du souvenir et réalité, le lien quasi fusionnelle qui s’est établi en prison se renoue ; mais, ce qui les unissait à Rebibbia peut-il se transposer dans “la réalité du dehors” ? Ce qui pouvait avoir un sens en détention n’en n’a plus forcément en liberté et le comportement insaisissable de Roberta ne cesse de semer le doute dans l’esprit de Goliarda. Pourtant, rien ne semble assez fort pour annihiler l’émotion qui la submerge quand elle est avec elle. Ni la raison ni la distance ne sont des gardes fous suffisants : en son absence sa présence est envahissante.

“Pendant bien quinze jours, j’arrive à lui faire perdre ma trace, au dehors et à l’intérieur de moi-même. (…) Mais à l’intérieur, elle s’était accrochée à moi si obstinément que je me réveillais parfois au cœur de la nuit avec la sensation précise de l’avoir à mes côtés, dans la même pièce, laquelle – se faisant sa complice – se réduisait à un espace de trois mètres sur quatre avec trois petits lits placés côte à côte et une lumière mystique, là en haut, toujours allumée…”

Cette pièce, “la cellule 27, [son] premier domicile fixe à Rebibbia”, Goliarda y retourne en pensée, avoue même parfois vouloir retrouver cette atmosphère si particulière, “cette sensation de libération qu’on éprouve au moment où l’on vous “enferme” hors de la société et de vous-même”. C’est ce que Roberta appelle le syndrome carcéral. La prison, comme la maladie, est parfois difficile à quitter quand elle devient un mode de vie, une manière d’être, quand elle fait partie de vous. Cet attachement est difficilement compréhensible pour ceux qui n’ont jamais vécu enfermé. Quant à la passion, elle ne s’explique pas, ne se justifie pas, elle se vit ; elle est au-delà de toutes frontières, de toutes contraintes et peut mener à l’exaltation comme à la destruction. C’est ce que nous démontre ce texte.

Lire Goliarda Sapienza est une expérience en soi. Elle écrit comme elle est – avec ses contradictions et ses tripes – et pour deux raisons : “se défoncer” et “prolonger de quelques instants la vie des personnes [qu’elle] aime” en plus de la sienne.
Ce récit est animé de la même force de vie que l’on retrouve dans Moi, Jean Gabin et L’Université de Rebibbia : celle d’un esprit torturé, plein de doutes et de certitudes, à la recherche de soi-même, de liberté et de joie. C’est donc une Goliarda souvent perdue en elle-même, tiraillée entre exaltation et renoncement, qui va nous emmener au fil de ses pensées et de ses pérégrinations dans les rues pavées de Rome.

Les Certitudes du doute vient clore le cycle “Autobiographie des contradictions” et la transe Goliardienne qui m’a happé hors de ce monde pendant quelques semaines.

Les Certitudes du doute-Goliardia Sapienzaéd. Le Tripode, 2015
239 pages
trad. Nathalie Castagné

Pauline

Voir aussi l’article Lumière sur… Goliarda Sapienza
Voir aussi l’interview de Nathalie Castagné

À propos Pauline

Chroniqueuse

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