« Dans une société prisonnière, les maîtres se repaissent de la liberté des hommes. Mais, même dans un monde de matons, aucune vérité ne peut piéger un honnête menteur. »
Gonzo, une biographie graphique de Hunter S. Thompson, est paru aux Éditions Nada. Écrit par Will Bingley et illustré par Anthony Hope-Smith. Autant être claire, cet ouvrage est formidable, et à bien des égards.
La préface d’Alan Rinzler, tout d’abord, éditeur et conseiller littéraire de Thompson, est parfaite d’ambivalence et donne le ton de l’ouvrage, entre admiration et rancœurs, lucidité et sincérité.
C’est une biographie en forme de synthèse. Au diable l’exhaustivité. De l’assassinat de Kennedy à son suicide, l’ouvrage illustre les temps forts de la vie de Thompson et se concentre donc sur les années 60 et 70.
Son immersion dans le gang des Hell’s Angels, le Derby du Kentucky, les émeutes de la convention démocrate de 1968, celles du Barrio de Los Angeles après l’assassinat par la police d’un représentant de la communauté chicano, où il rencontra Oscar Acosta, sa campagne au poste de Shérif d’Aspen, sa lutte anti-Nixon et son trip à Las Vegas, le fameux, avec Oscar.
Le livre donne un aperçu éclairant des méthodes de travail, du rapport de Thompson au journalisme et à l’Histoire, avec ou sans majuscule.
Le Thompson de cette biographie n’est pas (que) sa caricature – le provocateur, mythomane, junkie – mais un personnage entier, journaliste libertaire, auteur doué à la fois produit et regard de son époque.
Plus que les frasques et la vie privée, c’est le rapport de Thompson à la politique, au journalisme et à l’écriture qui est au cœur du propos et à travers cela, son approche de la vérité et de la liberté.
« Pour moi, l’écriture est une activité américaine essentielle. Un geste méticuleux de préservation. Le but d’un écrivain américain ? Identifier et faire connaître toutes les manifestations de la liberté…où qu’elles se trouvent. »
Les textes sont concis, extrêmement précis, disent tant avec si peu. Une narration sous forme de punchlines, mais pas que, et qu’importe d’abord, le fond s’accorde si bien avec sa forme.
Les illustrations comme leur articulation, sont impeccables et disent aussi bien que les mots, qui laissent place à une vraie narration visuelle. L’adéquation entre images et textes est un régal, jusque dans les silences.
Se construit au fil des pages l’image d’un homme pressé, tendu, entre le témoignage journalistique et la création littéraire.
« Je crois avoir trouvé quelque chose…enfermé dans un hôtel d’Arcadia…En finissant un texte sur Salazar le jour et un autre sur Vegas la nuit. Pas une histoire fondée sur des faits réels. Une satire. Un conte picaresque, atavique. Marrant… Pas une histoire fondée sur des faits réels. Mais peut-être une histoire vraie. »
La fin de la vie de Thompson est volontairement survolée, l’après Nixon, les années 80 et 90, le retrait. L’homme n’était peut-être plus de son temps…
Alors qui est Hunter S. Thompson ? Je parlais de personnage tout à l’heure, c’est peut-être mieux que la vérité. Il est un personnage, son personnage, une idée du rêve américain, amant de la liberté, chantre de l’ultra-subjectivité comme support de vérité, le gonzo des gonzo journalistes…un bien bel objet et à l’heure des “alternative facts”, pas la moitié d’un propos. Passionnant. Chez Nada et dans vos librairies.
Éditions Nada, 2017
Traduction Paulin DARDEL
192 pages
Héloïse