Second roman a être publié chez les éditions Asphalte, Basse saison, confirme tout le talent de l’auteur de « L’employé » (publié chez le même éditeur) et enfonce même le clou encore un peu plus loin en démontrant, s’il en était encore besoin, une maîtrise stylistique et narrative incroyable dans un roman de cette envergure.
Basse saison est un tableau, ou un journal, ou une chronique – même des chroniques-, ou un portrait d’une station balnéaire située à 400 kilomètres de Buenos Aires. Une station balnéaire qui entre dans son automne, qui a vu partir tous ses touristes et a retrouvé le calme de ses neufs mois infernaux en attendant la prochaine saison forte. Une station qui grouille de vermine et de vie pendant ces neuf mois, une « Villa » qui a énormément de chose à dire et à cacher.
« L’automne file vers l’hiver et le néant avance. La corrosion, le salpêtre. Ici, le néant a le goût du sel. Les corps et les cœurs aussi rouillent. Les soirs comme celui-ci, si tu t retrouves dans le coin tard comme maintenant, la corrosion prend le dessus, pénètre tes os, et tu ne désires rien d’autre que ta tanière, un verre de genièvre, la télé. Tu n’as plus rien à dire à ta femme, si tant est que tu en aies une, ce qui est préférable à l’entrée de l’hiver. La radio locale passe du Janis Joplin en cette heure tardive. Il y a plus optimiste, mais au moins ça nettoie du salpêtre. Et tu te prends toi aussi à demander à Dieu, comme Janis, de t’acheter une Mercedes Benz. »
Les couches se croisent, s’emmêlent et emmènent avec elles le lecteur dans cette étrange villa autant habitée par son passé et ses fantômes que par les survivants de la période estivale. Le vernis craquelle et petit à petit le lecteur sombre dans les méandres de cette inquiétante station balnéaire qui a autant tout pour plaire que pour inquiéter. Mais qu’importe le touriste n’est là que pour s’amuser et les histoires se règlent en basse saison.
La narration de l’auteur aspire le lecteur dans son histoire et ses propos, les contes et les faits sur cette Villa ne sont finalement que le reflet d’une étrange civilisation faite d’immigrés et de natifs. Comme le souligne très justement la traductrice Michèle Guillemont : « Le roman de Saccomanno est cannibale. Il se repaît de tous nos discours. Sorte de « Divine mimésis » de notre réel, le bois enchanté du lieu imaginaire rêvé n’est qu’épaisse « Forêt obscure ». »
« Nous les suicidés de chambre d’hôtel, nous sommes des gens spéciaux. Nous sommes discrets, aimables, et nous n’avons pas voulu gêner nos êtres chers avec notre fin. Il est certain que se suicider sur une plage génère moins d’inconvénients. Se suicider à l’air libre à son charme. Mourir là, c’est s’exposer aux oiseaux carnassiers et aux chiens sauvages, à la vue de n’importe qui. C’est d’un exhibitionnisme agressif. C’est comme se jeter sous un train et obliger les autres à ramasser les morceaux. »
Ce roman, en dehors d’une démonstration technique et d’un jeu pour l’auteur des plus enivrant, est certainement ce que l’on pourrait appeler « roman monde » une sorte d’état des lieux des non-dits et des secrets de familles portés ici à hauteur d’une bien étrange ville. Une œuvre magnifiquement traduite par Michèle Guillemont, un livre à classer quelque part entre « La fin du vandalisme » de Tom Drury et la saison 1 de Twin Peaks.
Asphalte éditions,
Trad. Michèle Guillemont,
590 pages.
Ted.
J’avais aimé “L”employé ” du même auteur. Celui-là me tente.