Sergio et Victor, son frère, ils se ressemblent, même beaucoup, pour ne pas dire « ils sont identiques », mais Victor n’est pas le frère jumeau de Sergio. Il s’agit en fait de son clone, et ce clone a une existence bien définie. Une vie de servitude et tous ses organes à disposition de son frère en cas de besoin. Victor doit assouvir tous les caprices de Sergio, lui repasser ses chemises, lui cirer ses chaussures, lui tenir compagnie ou encore le surveiller pendant son sommeil quelques fois. Avec une enfance rude et sans l’amour d’une mère, Victor a trouvé une forme d’éveil dans la littérature et a su très tôt se montrer plus intelligent que Sergio, qui lui est materné à outrance par sa mère. Dolores quant à elle est une jeune fille pleine d’assurance, pleine de vie qui va tomber sous le charme de Victor et lui montrer une autre vie possible et lui démontrer qu’il n’est pas le jouet de Sergio.
« N’a de valeur que ce qui est authentique »
Ce texte, jouant sur les oppositions, science/désir, est un puissant plaidoyer pour la vie et toutes ses joies. Dans un monde dicté par la science, le progrès, la tentative d’affranchissement de la mort, Dolores est un électron libre qui devient un véritable électro choc pour Victor. De ce besoin de toujours vouloir tout contrôler jusqu’à ne plus avoir aucune surprise, le texte démontre habillement que toute la beauté d’une vie est avant tout d’être vécue et doit être remplie d’imprévu, bon comme mauvais.
Mais le texte reste avant tout d’une crédibilité folle, la plausibilité des clones, le monde gouverné par une science du confort, des émissions pseudo scientifiques pour une vie meilleure qui régit le quotidien des citoyens lambda, un monde aseptisé à souhait pour un meilleur contrôle des masses. L’auteur n’enferme pas pour autant son texte dans les clichés d’une histoire de science fiction de bas étage mais élève le débat plus haut, même beaucoup plus haut.
En s’affranchissant de tout code et en optant pour une écriture belle mais épurée, l’auteur recentre son texte sur l’essentiel, sur son idée principale. Comme si les mots étaient pour appuyer son idée que la science (et ici la science des mots) n’est pas la meilleure voie pour offrir un meilleur roman. Les contrastes frappent, l’idée s’achemine progressivement dans la tête et finalement « Le cœur de Doli » s’avère être aussi marquant que « Le meilleur des mondes » de Huxley.
« Dolorès, non : de quel droit Sergio Méprisait-il son frère ?
– C’est l’original.
– L’esclavage a été aboli en 1813.
– Ce n’est pas de l’esclavage.
– C’est quoi, alors ?
– Un service, comme travailler ici, au Mc Poulen.
– On reçoit un salaire pour ça.
– Alors c’est un acte d’amour. »
Gustavo Nielsen, sans prétendre révolutionner la science fiction, a écrit une histoire simple et puissante qui invoque autant le mythe de Caïn et Abel, la littérature classique de genre avec le mythe de Frankenstein ou encore la science fiction moderne avec « le meilleur des mondes ». La traduction de Lori Saint-Martin est aussi méticuleuse qu’efficace et Le cœur de Doli est très certainement un livre dont on parlera longtemps.
Dernière Goutte,
Trad.Lori Saint-Martin,
260 pages.
Ted.