Âgée de 16 ans et élevée par sa mère menant des missions pour le parti révolutionnaire Viêt Minh, Viêt Linh Nguyen n’a jamais rencontré son père, parti pour le maquis lorsqu’elle était nourrisson. En 1969 au Vietnam, la jeune fille décide de fuguer direction le Nord du pays pour faire sa connaissance et peut-être rattraper le temps perdu.
À travers lui, elle va découvrir un mode de vie nouveau, où la débrouillardise est de mise et où il faut toujours être à l’affut du danger. Le moindre grain de riz à de l’importance, tout doit être utilisé ou détourné, rien n’est gaspillé.
Mais la jeune fille va également faire la rencontre avec le cinéma comme moyen d’expression. En effet, son père et Oncle Tu’ effectuent un documentaire sur le quotidien des maquisards, habités d’une énergie et d’une passion qui vont la contaminer. Au lieu des deux jours de droit de visite initiaux, Linh va rester 7 ans avec les révolutionnaires, observant et s’adaptant à leur mode de vie jusqu’à en faire intégralement partie.
C’est le passé de cette réalisatrice aujourd’hui mondialement reconnue qui se déroule dans la bande dessinée scénariste par sa propre fille Hai-Anh et illustrée par Pauline Guitton. Au fil des discussions entre la mère et la fille, cette dernière prend connaissance de ses racines et du passé familial, bousculé et éclaté par les guerres. De cette figure maternelle distante et peu démonstrative, Hai-Anh tisse les liens intrinsèques entre l’intime et l’historique, prenant conscience de blessures profondes masquées avec fierté, de drames laissés sous silence, mais aussi de moments lumineux et heureux.
Sống navigue entre les temporalités et les espaces, nous transportant des années 70 au Vietnam à la France d’aujourd’hui. De par son passé, Linh est devenue une femme très indépendante, exprimant mieux son amour aux plantes qu’elle entretient soigneusement qu’à ses proches. Entre elle et sa fille, la communication est donc parfois laborieuse, tendue. Le sentiment d’abandon et la nécessité d’imposer son existence et sa légitimité dans des univers majoritairement masculins lui ont forgé une carapace solide cachant une un tourbillon d’émotions enfouies. Peu à peu, des liens se renforcent tandis que des nœuds muets se défont. Plusieurs récits s’entremêlent : la guerre et l’Histoire en toile de fond, les familles détissées puis reconstituées, créant alors un nouveau motif. Ou encore la réalité trop peu connue de la survie dans les maquis, dans lesquels l’individu s’efface pour le bien de la communauté. Tout y est devoir de mémoire, de transmission.
Lorsque Hai-Anh écoute sa mère lui conter son adolescence, le mot Sống s’impose naturellement à elle. Ici, ce terme signifiant « vivant », « en vie » célèbre le cheminement personnel parcouru, accueille des êtres qui se racontent, se comprennent au-delà des discours et s’apprivoisent. Le travail d’illustration de Pauline Guitton offre un écrin délicat à ce récit de rencontres et de retrouvailles. Son trait aux courbes et aux fines lignes s’habille de couleurs douces, aux pigments minéraux rehaussés par le vert de la jungle protégeant les maquisards. Elle découpe les paroles échangées, les instants de dialogues et les réflexions intimes selon une mise en page au dynamisme subtil.
L’autrice admet que sa mère a sûrement enjolivé ou laissé de côté certains pans de son adolescence, et ce souci de réserve est respecté dans ce roman graphique pudique et sensible, marqué par la dignité et par le courage.
« Aussi singulières que puissent être ses histoires, je tenais à résumer chaque souvenir en un seul verbe vietnamien afin de les inscrire dans un thème plus universel. »
Ankama éditions
192 pages
Caroline