HS Tak et Isabella Mazzanti – Hitomi

Dans le Japon du XVIe, un samouraï de la cour de Nobunaga se démarquait par son sens de la stratégie milliaire, les multiples langues qu’il parlait et sa peau noire. Connu sous le nom de Yasuke, cet homme arraché de sa terre natale par des marchands d’esclaves a échappé à plus d’une bataille et parcouru de nombreuses contrées avant de fouler le sol de l’archipel japonais. Tirant parti de ces voyages forcés, il a su se rendre indispensable pour survivre tout en apprenant les dialectes des peuples qu’ils rencontrent, affutant sa force physique comme mentale.

Cependant, tout ce que l’on sait de son destin à la fois tragique et hors du commun est intrinsèquement relié à l’histoire de Seigneur Nobunaga, et les traces de Yasuke disparaissent brusquement des récits de l’époque… Alors que les autres samouraïs n’ont pas hésité à révérer le code d’honneur en ce faisant seppuku à la mort de leur maître, lui-même est étranger à ces coutumes et donc libre de suivre sa propre voie en s’enfonçant dans l’anonymat et l’oubli.

HS Tak et Isabella Mazzanti composent à quatre mains la destinée fictive de ce personnage bien réel, qui a marqué la période féodale par ses faits d’armes et par son intelligence. Plutôt que de dérouler un récit linéaire téléphoné, ils entrecroisent ses pas avec ceux d’une jeune fille ayant réchappé d’un massacre qui a décimé tout son village. Habitée par la soif d’une vengeance sanglante. Hitomi se lance à la poursuite de celui qu’elle tient pour coupable du meurtre de ses parents : un samouraï solitaire à la peau « noire comme les betteraves ». Pendant cette traque farouche, elle fomente son plan : retrouver l’assassin de sa famille, devenir son élève afin de le surpasser et de le tuer loyalement pour obtenir justice.

Lorsque Hitomi trouve enfin la trace de Yasuke, celui-ci est réduit au statut de bête de foire : essuyant injures et moqueries, il fait office de chien de combat en se battant en duel contre un sumo dans un spectacle ambulant sillonnant les villages pour divertir les badauds. Tout en lui cachant ses intentions vengeresses, Hitomi devient sa disciple et apprend l’honneur et le maniement des armes à ses côtés. Autour de cet étrange duo composé d’un samouraï noir et d’une orpheline fauve, une fresque se dessine alors. Par petites touches, le récit laisse entrevoir leurs passés marqués par le déracinement, la survie, le besoin viscéral d’avancer coute que coute. Si tout semble les opposer au premier abord, ils s’apprivoisent doucement et se lient d’amitié, uni face à un monde qui tour à tout les rejette ou les menace. Alors qu’un fragile équilibre se crée entre le mentor et son élève, la vérité éclate, inattendue et brutale, entrainant Hitomi dans une épiphanie hallucinée entre chien et loup, tigre et serpent…

Marquée par l’esthétique traditionnelle des estampes japonaises et surélevée d’une découpe très moderne et dynamique, Hitomi nous plonge dans l’ambiance à la fois âpre et magnifique du Japon féodal. Isabella Mazzanti habille le scénario signé TS Tak par des couleurs cendrées et presque terreuses, savamment rehaussées de touches d’orange vif et de bleu glacier desquelles s’exaltent le parfum de cette époque révolue, auréolée de violence et de beauté. Les planches se déploient avec panache, rendant hommage au destin hors du commun de Yasuke mais aussi à l’art du combat et le lien puissant entre les hommes.

Urban Comics, collection Urban
Traduit de l’anglais (américain) par Benjamin Viette
144 pages
Caroline