Paris, années 30. Déclin de l’Art Nouveau et de ses rêves de gloire, gueule-de-bois de l’empire chatoyant et perversion de la bourgeoisie lardée.
Blanche et sa soeur Agathe se chamaillent dans leur chambre de bonne: la cadette s’inquiète pour son ainée qui est un peu trop friande des guinguettes à son goût, surtout en ces temps de malheur où un meurtrier découpe en rondelles les filles de petites familles ou de petites vertus à la sortie des bals.
Une nuit, alors que la benjamine est sortie danser, Blanche est réveillée par des cris provenant de la pièce d’à côté, faisant pourtant partie d’un immeuble désaffecté où seuls les rats sont censés danser la quadrille.
Mais la petite souris curieuse glisse un oeil dans une fissure et assiste à un horrible spectacle: le cadavre d’une jeune fille entouré par deux sombres individus qui parlent de jeter son corps comme le boucher des guinguettes sait si bien le faire.
Horrifiée, elle prévient Agathe qui décide d’aller voir par elle-même. Mauvaise idée car elle sera tuée sur le coup par une balle bien placée. Car les sales types n’aiment pas les petites donzelles un peu trop fouineuses…
Commence alors les aventures de Blanche qui est bien décidée à venger sa soeur bien-aimée, sa seule amie et son seul repère en ces temps pas très glorieux. Ses pas et sa volonté de trouver les coupables vont la mener dans un endroit assez particulier; tentures de velours, pampilles colorées, miroir sans tain, rires étouffés et poses lascives; bienvenu au Pompadour, bordel luxueux.
Notre Blanche, vierge et pas docile pour un sous, va prendre la place de la “gouvernante anglaise”, armée d’une cravache et de toute sa volonté, elle va très vite se tailler sa réputation dans ce milieu qui l’a dégoute au plus profond d’elle-même. Aucun homme ne peut la toucher, elle, la Vierge de Fer qui semble habitée d’une rage folle lorsqu’elle soumet ces messieurs au claquements de son fouet et à la morsure cruelle de son talon.
Au Pompadour, lieu de sensualité et de plaisirs, son humeur farouche lui met la majorité des filles à dos. Seules Miss Jo, transsexuel amateur de Joséphine Baker et Annette, petite poupée blonde brimée par les autres filles, se révéleront de vraies amies.
De fil en aiguille, son étau de suspicion va se resserrer autour de Monsieur, gérant de cet hôtel particulier et de ses sales fréquentations, dont un rouquin pervers qui a l’air de tremper dans ce que Paris fait de plus morbide. Elle trouvera les coupables et vengera son Agathe, mais l’histoire ne s’arrêtera pas là: le retour de sa mère, perdue de vue depuis bien trop longtemps et l’arrivée d’Antoine, un jeune aristocrate charmeur et doux vont faire petit à petit flancher son intraitabilité.
La guerre des clans jalonne les quatre volumes de cette série policière, on s’y sert les coudes car la vie est bien dure et les ennemis partout. Les filles le savent bien, élevées à la dure et loin d’être naïves, elles joueront toutes un rôle plus ou moins lié à l’enquête de la Pas-Touche: amitié, jalousie, amour et haine vont mettre le feu aux poudres de tome en tome, nous tenant en haleine avec subtilité et panache. Un univers particulier se déroule sous nos yeux; celui où la mort et le sexe servent de ponts au monde huppé et à celui des bas fonds. La dentelle se confond avec le vice sans jamais tomber dans la vulgarité car, ne l’oublions pas, ce sont Hubert et Kerascoët qui tirent les ficelles en coulisses.
A travers ce duo toujours aussi épatant, c’est tout le Paris-canaille qui nous ouvre ses portes, avec cette mélancolie sensuelle que l’on retrouve à travers tous leurs ouvrages. Tout est histoire de dosage, et ils le savent bien: une sensualité comme un murmure, qui rôde et chuchote tout du long, alors que l’historie se déroule pourtant dans un bordel, jamais une scène de fesses pour appâter, pas de voyeurisme pour vendre, mais un polar aux notes de conte cruel. Hubert et Kerascoët, respectivement aux couleurs et au dessin, vont une fois de plus malmener leur héroïne qui pourtant est animée des meilleures intentions dans ce monde fangeux, pour faire ressortir ce qu’il y a de plus passionné et de désespéré en elle.
Une jeune fille mise à nue, qui tient bon à travers la houle d’une existence pas jolie, et qui fait éclater une nouvelle fois le talent d’Hubert et de Kerascoët: Miss Pas Touche, on la lit encore et encore, on caresse sa tranche si fine qu’elle semble casser à la moindre pression et qui pourtant renferme une âme plus robuste que celle de beaucoup d’autres.
Editions Dargaud, Collection Poisson Pilote
4 volumes
Caroline