Hugo Pratt – Corto Maltese. La Ballade de la mer salée

Que cherche-t-on dans les livres, les bandes dessinées qui s’entassent sur nos étagères sinon des mondes possibles, des invitations au voyage, des petits et grands bateaux près à nous embarquer hors de notre réalité quotidienne. Parmi eux, il y a peut-être un Corto Maltese au “sourire ouvert et charmeur, ironique et fugace” qui nous rappelle que la vie est faite de choix et que la liberté en est un.

Peu de temps avant sa mort, Hugo Pratt, conteur, aquarelliste, dessinateur exceptionnel, entreprend l’écriture d’un roman, Corto Maltese. La Ballade de la mer salée. prélude aux vingt-neuf épisodes de sa célèbre saga. C’est chez Denoël que l’on peut actuellement le trouver, réédité en 2015. Non seulement grand auteur de bandes dessinées, Hugo Pratt se révèle être un immense romancier.

L’histoire débute en 1913, la première guerre mondiale est sur le point d’éclater. Le conflit retentit jusque dans les colonies des mers du Sud. De la Nouvelle-Guinée à Tongatapu, le lecteur navigue parmi les navires britanniques, hollandais, les sous-marins allemands, le catamaran du pirate russe Raspoutine, les pirogues mélanésiennes au cœur des conflits politiques et de la guerre du charbon qui fait rage. Les allemands se laissent tenter par une alliance avec Raspoutine, le pirate sans foi ni loi. Ce dernier recueille Corto Maltese qui, guidé par “le parfum de la vie”, s’embarque avec lui dans de nouvelles aventures. Avec eux, deux naufragés anglo-américains, Pandora et Caïn Groosvesnore, qui, d’abord guidés par leur envie de fuite puis par la défense de leurs nouveaux amis pirates, perturbent sans cesse le cours du récit.

L’histoire rencontre l’Histoire, les aspirations romantiques, l’amour, les rêves de voyages et de liberté des Hommes s’entremêlent au monde politique des intérêts particuliers et du serment militaire. Île impossible à trouver sur une carte et son roi pirate, le Moine, encore plus mystérieux, un Corto Maltese jeté à la mer par son équipage sans que l’on en sache la raison véritable, dans ces biographies livrées au compte goutte, Hugo Pratt sonde l’âme humaine à l’instar des plus grands écrivains.

Nous recherchons tous les mêmes choses, sauf que les uns sont un peu plus fous que les autres, et les plus fous sont peut-être les meilleurs.

Son art dessiné du contraste se retrouve dans les scènes qu’il dépeint. Le brouhaha des manigances politiques perturbe le silence de la mer, les cris des tueries les moments plus calmes de rêverie. La Ballade de la mer salée vous transporte par ses mots, ses images et ses références littéraires aux récits des grands navigateurs dont les noms parcourent les pages, des mythes, des légendes, des premières écritures et de la littérature romantique. Une très jolie rencontre du pinceau et de la plume…

Des nuages couleur de plomb et lourds de pluie s’éloignaient, poussés par un fort vent de nord-est. Des cirrus blanchâtres les poursuivaient en tourbillonnant et en dansant comme des lutins, ils s’amoncelaient, s’enroulaient puis disparaissaient, effacés d’un coup de pinceau mécontent.

Sonia

  Hugo Pratt, Corto Maltese. La Ballade de la mer salée, Delanoël, D’ailleurs, 2015, 296 p.