Ilaria de Gabriella Zalapì est à paraître aux éditions indépendantes suisses Zoé pour la rentrée littéraire 2024. Dans la même collection sont déjà parus Antonia (2019, Grand prix de l’héroïne Madame Figaro) et Willibald (2022).
Ilaria est un roman court, en fait je dirais qu’il s’agit d’une nouvelle, du fait de l’intensité et de l’immédiateté de l’action, du nombre réduit de personnages et de la construction narrative qui fait que tout le récit, dès le début, tend vers sa fin.
C’est un texte très délicat, intime, qui relate l’histoire d’un kidnapping vu à travers les yeux d’une enfant. Son ton qui tombe très juste est un atout, tout comme son rythme de road trip, mais sa qualité principale tient à l’espace donné à l’enfance.
L’enfance comme focale
L’enfant, Ilaria, est seul sujet de cette histoire. Les adultes gravitent autour d’elle et leurs motivations restent obscures. D’ailleurs il n’y a pas d’interrogation autour de ce qui motive le geste du père d’Ilaria.
Gabriella Zalapì a laissé ça de côté et il nous semble que c’était un bon choix, le meilleur à vrai dire.
Effectivement, le fait que la protagoniste est Ilaria et que l’histoire est racontée de sa hauteur, à travers ses yeux, sensations et sentiments, permet de donner un aspect de songe à l’histoire tout en la rendant tout à fait vraisemblable et même réaliste.
Une place importante est donnée aux liens qui lient Ilaria aux adultes, cette façon de dépendre de leurs gestes et de leurs mots. Cela devient cocasse quand par un effet de miroir, ce sont les figures adultes qui paraissent immatures.
Papa regarde la mer. Des fois je m’assieds à côté de lui et ensemble nous observons le vent soulever l’écume, la faire virevolter dans les airs. Il dit que j’ai grandi. Que mes genoux sont deux boules à mi chemin entre mes cuisses et mes mollets. Tout comme les flamants roses.
Je vais t’appeler comme ça maintenant. Mon Flamant rose.
Papa veut être gentil. Quand est ce qu’il recommencera à se fâcher ? Je me méfie. Un jour ou l’autre il explosera. Je sais qu’il n’a pas oublié ce qui s’est passé à Rome, ce qu’il a appelé ma trahison. Il est imprévisible. Le même mot peut provoquer chez lui deux réactions opposées. Rester sur mes gardes.
Être au monde comme un enfant
Ce parti-pris explique par ailleurs que le récit paraisse lacunaire mais cette “lacune” n’en est pas une. D’autant plus qu’en compensation, Gabriella Zalapì mobilise tout un système de “lumières” éclairant là où l’attention de l’enfant s’attache, s’arrête, s’écrase. Créant une certaine poésie.
Parallèlement à ça, le style est plutôt dépouillé, il y a une économie des mots qui sont pour autant très choisis, pesés, éloquents. Le texte paraît très ouvert, y affleurent les sentiments de l’enfance, décrits avec pudeur. Il n’est en rien choquant ou racoleur. Et j’ajouterais aussi qu’il serait injuste de le réduire à une tentative de témoignage car il est littéraire.
Et ce côté très littéraire est annoncé dès le départ, avec le sous-titre du livre.
Parce que ce récit c’est celui d’un kidnapping mais c’est aussi une aventure version road trip italien, un apprentissage et une rébellion. L’enfance vagabonde d’Ilaria lui apprend la vie, l’amène à faire des rencontres déterminantes, l’incite à rêver d’autres existences et lui donne le goût de l’indépendance.
Ilaria ou la conquête de l’indépendance est un beau titre assurément, là aussi les mots sont bien choisis.
En résumé donc, Ilaria ou la conquête de l’indépendance est road trip original, pudique, sensible. L’enfance y est explorée dans sa temporalité propre, dans ses sentiments et dans ses liens _ notamment dans la relation parents-enfant mais pas seulement.
Gabriella Zalapì réussit à saisir un peu de la présence au monde des enfants, une présence au présent à la fois hégémonique, innocente, inconsistante, magique et déjà disparue.
Ilaria
Gabriella Zalapì
août 2024 / 176 pages