Dans le numéro 50 de la revue If, Liliane Giraudon répondait aux questions de Michaël Battala. Elle disait au détour d’une question ces mots : « Une vieille poétesse (ma génération) me faisait remarquer que certains de nos amis avaient bien fait de mourir car si « me too » débarquait au rayon poésie, ça risquait de déboulonner des statues. Bref la poésie est bien dans le réel (comme le cinéma) et pour prolonger le sujet on pourra cet automne se procurer aux éditions de l’Arche une anthologie de « Lettres à une jeune poétesse » (toutes rédigées par des femmes et à l’initiative d’Aurélie Olivier) qui je crois dégagera un nouveau spectre ». Eh bien nous y voilà, Lettres aux jeunes poétesses est disponible et force est de constater qu’il tient sa promesse et dégage un nouveau spectre.
Aurélie Olivier a d’abord lancée l’initiative auprès de 9 poétess·es, puis elle a contacté Claire Stavaux et Amandine Bergé des éditions de l’Arche et le projet s’est considérablement enrichi. Le résultat est composé de lettres de 16 autrices et de celle d’un collectif composé de 6 autrices. Toutes sont d’âges différents et proposent une vision singulière de la place des femmes dans la poésie. La diversité des points de vue est la force de ces Lettres aux jeunes poétesses. Il n’y a pas qu’une seule voix qui viendrait revendiquer une seule chose identique mais une multitude de possibilités venant soulever les problèmes et dégager les solutions.
Certaines écrivent pour la jeune fille ou jeune garçon qu’iels étaient, d’autres à un·e poétess·e imaginaire. On ressent un courage, une rage d’exercer l’écriture contre le dictat du patriarcat. La poésie a été trop longtemps le territoire des hommes et même si cela tendrait à devenir l’inverse, ce serait pour une mauvaise raison. La poésie, art docile, serait en passe de devenir l’espace où les femmes sont sagement cantonnées. Mais toutes ces poéte.sses ne veulent écrire qu’avec la liberté de choisir pourquoi elles le font.
Ces Lettres aux jeunes poétesses initiées par Aurélie Olivier ont un grand mérite : celui de laisser enfin entendre la voix de celles qui écrivent et font la modernité et la vitalité de la poésie actuelle. Le moins que l’on puisse faire quand on est homme, qui plus est lecteur, c’est d’ouvrir ce livre et réfléchir ensuite à sa place privilégiée. Bien sûr il y avait Rilke, mais comme le fait remarquer Marina Skalova « Dommage qu’il parle de la femme comme d’une créature mystique ». Ces Lettres viennent tirer la poésie du formol où on l’a trop souvent placée.
144p
Adrien