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Interview éditeur : Sentaku Editions

Alors qu’aujourd’hui, l’offre de mangas en France provient presque exclusivement du Japon, de jeunes entrepreneurs dijonnais ont récemment fait le pari de donner ses lettres de noblesse à ce genre littéraire un peu particulier en créant la maison d’édition Sentaku. En effet, aussi paradoxal que cela puisse paraître, ce format qui inspire tant la télévision et les séries d’animation est bien souvent considéré comme le terrain des adolescents et des otakus (les férus de culture japonaise). Fort heureusement, il en est autrement pour ces trois éditeurs passionnés, qui veulent mettre en avant un certain savoir-faire français en la matière.

Un Dernier Livre – Bonjour Elisabeth Dier. Vous êtes la co-fondatrice de Sentaku Editions, une start-up dont le but est de promouvoir les mangas français et leurs auteurs. Pourriez-vous nous parler de votre projet ?

Elisabeth Dier Bonjour Marc. L’objectif de Sentaku est en effet celui-ci, mais il ne s’y limite pas. Quand nous avons pensé notre start-up en mars 2018, avec mes deux associés, nous étions élèves de la Burgundy School of Business, l’école de commerce de Dijon. Nous aimions tous les trois les mangas, mais nous étions souvent frustrés par l’absence de diversité qui émane des catalogues des grandes maisons d’édition. Ce sont toujours les mêmes contenus, les mêmes thématiques. Nous voulions voir le manga autrement,donner leur chance à des auteurs qui veulent raconter des histoires qui sortent un peu des sentiers battus, tout en donnant aux lecteurs la possibilité de choisir ce que l’on va leur proposer.

Logo Sentaku Editions
Sentaku Editions

UDL – C’est de là que provient le nom de votre maison d’édition, Sentaku ?

E.D. Oui, Sentaku signifie « choix » en japonais, et c’est exactement ce que nous voulons créer : une maison d’édition participative.Nos lecteurs votent sur les réseaux sociaux pour les mangas qui leur font le plus envie, sur la base d’une ébauche de scénario et de quelques planches de dessins, et le projet qui obtient le plus de soutiens devient le grand favori, celui qui sera finalement édité.

UDL – C’est comme ça qu’a donc été sélectionné A kind of magic, le premier manga que vous allez publier.

E.D. – En effet, A kind of magic a remporté le concours de likes que nous avons organisé sur notre page Facebook à la création de Sentaku, et c’est son auteure, Léa Schmitt, sous le pseudonyme de Kiri, qui est devenue l’emblème de ce que nous voulons porter comme projet. C’est une jeune femme de dix-neuf ans, française,qui nous présente un roman loin des shōnen (mangas pour garçons) classiques, avec un personnage principal féminin et une intrigue bien à elle. Son manga paraîtra début 2019, si tout se passe bien.

Sentaku Editions
La couverture de A kind of Magic, le premier manga de Sentaku Editions.

UDL – En l’occurrence, vu le nombre de dessins de manga que vous avez eu à traiter lors de ce concours, vous diriez qu’il y a une façon plus française, plus occidentale de faire du manga ?

E.D. – Indéniablement. Les intrigues sont moins stéréotypées, c’est une certitude. Evidemment, les décors des mangakas français sont plus occidentalisés,les intrigues se déroulent en Europe et pas au Japon, et les traits des visages en particulier semblent plus proportionnés. On retrouve la patte française jusque dans des bases du dessin comme les traits d’un visage ! C’est pour cette raison qu’il est aberrant de laisser de côté ces talents qui ne demandent qu’un coup de pouce pour émerger.

UDL – D’où le soutien que vous apportez aux femmes qui se lancent dans ce type d’aventures ?

E.D. – Ce qui prime c’est le talent. Et s’il se trouve que ce sont des femmes qui sont plus talentueuses, c’est tant mieux. Vous savez, les mangakas femmes ne sont pas aussi rares que l’on pourrait le penser au Japon. Ne vous trompez pas, nous ne voulons pas que des jeunes femmes comme auteurs, et nous ne publions pas pour un public particulier.

UDL – Vous restez donc très ouverts.

E.D. – Nous n’avons pas l’envie de devenir une maison d’édition « Tout public » non plus. Ce que nous souhaitons, c’est laisser toute liberté aux mangakas, ne pas brider leur créativité en leur imposant des cases dans lesquelles rentrer. La seule barrière que nous leur mettons est celle de la légalité : les mangas ne sauraient être une incitation en images à l’illégalité, et rien d’illégal ne devra transparaître dans les mangas que nous publierons. Cela peut sembler un peu restrictif, mais c’est encore un point qui nous différencie des éditions japonaises, qui peuvent s’avérer extrêmement trash dans certaines publications.

Sentaku Editions
Une planche de A kind of magic.

UDL – En parlant du Japon, en l’occurrence, votre ambition est de faire connaître le succès à un manga français au Pays du Soleil Levant ?

E.D. – Absolument. Montrer aux japonais que d’autres pays qu’eux sont capables de faire tout aussi bien (peut-être même mieux, qui sait…). Mais ce qui est important aussi, et qui nous tient à cœur, c’est de montrer aux français que le mangaka est un artiste au même titre que l’écrivain ou le dessinateur.

UDL – En France nous aurions une vision réductrice du manga ?

E.D. – Pour l’instant, même si la France est le deuxième pays consommateur de mangas au monde après le Japon, l’industrie du manga en elle-même n’est pas considérée comme une réelle production culturelle. Au plus,le manga apparaît aux yeux du grand public comme une sorte de « nouvelle BD », réservée aux ados, aux 12-25 ans. Pourtant, ceux qui lisent le plus de mangas, ce sont surtout les trentenaires, ceux qui sont nés dans les années 1980-1990 et qui ont grandi avec le Club Dorothée. La génération Z, qui a suivi, n’a pas conscience de ça, mais elle n’est pas la première à découvrir le manga, loin de là.

UDL – C’est pour cela que le retour de votre lectorat est important.

E.D. – Pas important : primordial. Sentaku, encore une fois, c’est le choix. La communauté que nous avons fédérée autour de nous aime se sentir actrice. En plus de ça, savoir que nous publions des mangas français plaît à un grand nombre de gens. Il y a une certaine « hype » du manga français, une envie de lire quelque chose qui vient de chez nous.

Sentaku Editions

Une planche de A kind of magic.

UDL – Là-dessus, vous remplissez donc un travail de communication, de recherche de financement participatif pour lancer vos projets d’édition ?

E.D. – Oui, c’est nécessaire. Il nous faut nous faire connaître pour que notre action touche les gens. Il faut faire sortir le manga de cette image d’une niche réservée aux initiés : tout le monde peut lire du manga et prendre beaucoup de plaisir à le découvrir. Toutefois, nous avons décidé de nous appuyer un peu moins sur le financement participatif, et un peu plus sur des moyens plus conventionnels. Nous avons voulu faire les choses un peu trop vite. Il faut d’abord fédérer autour de nous, puis ensuite demander du soutien financier à notre communauté.

UDL – Vous avez décidé d’aborder les choses autrement ?

E.D. – Désormais, nous privilégions la mise en vente d’échantillons en librairie pour nous constituer petit à petit un lectorat qui, nous l’espérons, voudra continuer l’aventure avec nous. Comme toute aventure qui commence, on débute, on voit ce qui marche, ce qui ne marche pas. Mais à force de tâtonnements, je suis sûre que l’on finira par trouver la recette qui marche.

UDL – Effectivement, la question du financement prend beaucoup de temps dans tout le processus.

E.D. – Sans argent, on ne peut rien faire, et le manga ne fait pas exception. Mais pour autant, nous ne nous bornons pas simplement à de la communication, . J’ai une licence en lettres modernes, en plus d’avoir un master en management, et c’est ça qui me donne toutes les clés pour comprendre le monde de l’édition. On fait tout un retravail à partir des planches de l’auteur, on organise l’impression, la diffusion. La publicité, effectivement, nous incombe aussi, et nous passons depuis plusieurs mois dans de nombreux médias, à la radio, dans la presse écrite, dans la presse spécialisée. Nous passons des concours d’entrepreneuriat, pour recevoir des subventions et pour faire connaître notre initiative. En soit, nous avons beaucoup de travail devant nous, mais nous avons aussi beaucoup de motivation pour surmonter les épreuves qui nous attendent !

L’affiche promotionnelle de A kind of magic.

UDL – Dans ce cas, nous vous souhaitons toute la réussite possible, et nous espérons pouvoir chroniquer très bientôt sur votre premier manga à paraître : A kind of magic.

E.D. – Avec plaisir Marc, j’espère qu’il vous plaira !

UDL – Des indices sur d’éventuels autres mangas en cours d’étude ?

E.D. – Sentaku reçoit régulièrement des mangas. Nous avons des pistes intéressantes pour l’instant, et des auteurs talentueux… Mais je n’en dis pas plus !

Retrouvez toutes les dernières nouvelles de Sentaku Editions et de leurs projets sur la page Facebook de la start-up, et sur leur site dédié.

À propos Marc Perrin

Chroniqueur

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