Ce mois-ci sort en version Totem (format poche) chez l’excellent Gallmeister le premier roman de Lance Weller à savoir « Wilderness ». Grande fresque romanesque sur fond de guerre civile américaine, son roman lui aura valu une nomination au prestigieux prix Medicis et une seconde au Pushcart prize. Wilderness a rencontré un succès critique et publique. Nous avons pu profiter de la sortie en format poche pour poser quelques questions à Lance Weller :
1/ Quelle fut votre idée de départ quand vous avez commencé à écrire Wilderness ? Votre idée était l’histoire que nous connaissons ou était-elle différente à son origine ?
J’ai d’abord conçu Wilderness comme étant une nouvelle sur un vieil homme et son chien. J’avais une vague idée sur le fait qu’ils allaient faire une sorte de voyage ensemble. Tout le reste fut un processus de découverte : déterminer qui était ce vieil homme, ses manières, son histoire ; trouver où il à construit sa maison et pourquoi. J’ai été chanceux on m’a fait découvrir le paysage de la côte nord-ouest américaine de l’état de Washington et les études sur la guerre civile américaine de cette époque et, avant que je ne le sache, les différentes pièces de ma nouvelle se mettaient en place dans mon imagination de manière intéressante. Après, bien sûr, je n ‘ai plus travaillé bien longtemps sur une nouvelle mais plutôt sur un roman.
2/ Avez-vous fait beaucoup de recherches avant d’écrire (dans des livres, en vous déplaçant sur des lieux historiques…), ou vous cherchiez seulement les informations nécessaire quand vous en aviez besoin ?
Les recherches pour Wilderness ont été assez intenses. J’avais seulement des connaissances vagues sur la guerre civile donc pour essayer d’écrire sur ce sujet avec toutes sortes de détails j’ai dû beaucoup lire. Et la lecture a été suffisante pour établir une première version mais il est devenu assez évident que si je voulais représenter le paysage de Wilderness avec un minimum de réalité, je devais aller sur place. Donc j’ai fait deux voyages, un en Virginie et l’autre en Pennsylvanie – C’est à peu près l’endroit le plus éloigné où vous pouvez vous rendre depuis là où je vis dans le nord-ouest Pacifique – et passé le plus de temps possible à m’imprégner de l’atmosphère des lieux. J’ai passé deux longues journées à parcourir « Saunder’s Field » essayant de voir de mes propres yeux au lieu de me contenter de la vision que m’en offrait les livres.
3/ Pourquoi avez-vous décidé de situer votre roman durant la bataille de Wilderness, qui n’est pas la plus connue ou décisive, comparée à Gettysburg par exemple (au moins dans notre pays !) ?
La bataille de Wilderness a un caractère de finalité. C’était la première bataille de la dernière grande campagne de la guerre et les soldats pouvaient finalement voir la fin des choses. Saunder’s Field fut une des dernières fois où l’union se mit en ordre de bataille et l’apparat traditionnellement associé à cette bataille était réduit à des affrontements à mains nues à travers les bois. Et ce sont les bois eux mêmes, finalement, qui se sont imposés à moi comme thématique commune entre le “wilderness” de spotsylvania en 1864 et le wilderness du Pacifique nord qu’Abel trouve en 1899.
Aussi, quand vous mentionnez la guerre civile américaine, la plupart des gens – aux Etats-Unis et à l’étranger – imaginent la bataille de Gettysburg et c’est tout à fait approprié et adéquat. Gettysburg est la bataille la plus étudiée dans cette guerre et une sur laquelle il y a le plus d’écrits. Mais elle arrive chargée de toute cette attention; Si bien que la mention de Gettysburg est devenue une sorte de raccourci pour se faire une idée sur la guerre civile américaine. Il aurait été difficile d’écrire n’importe quelle histoire pleine de sens sur un individu en ayant une résonance au milieu de toute cette Histoire.
4/ Qu’elle est l’importance de la Guerre Civile dans l’histoire de l’Amérique? est-elle considérée comme un tournant dans la construction de la nation?
La guerre civile fut l’événement singulier qui a décidé quelle sorte de pays nous allions être. L’Amérique est née dans une révolution mais s’est forgée dans la Guerre Civile. Avant la guerre il était commun de dire ” Les Etats-Unis sont …” cela voulait dire que les gens
considéraient les Etats-Unis comme une union d’états souverains séparés. C’est seulement après cette guerre que nous avons commencé à penser et à dire “les Etats-Unis est…” voulant dire un seul pays.
5/ Votre personnage, Abel, est un personnage assez étrange. Il a rejoint les confédérés plus par hasard que par conviction, Il a survécu à la guerre civile malgré toutes les batailles et les atrocités qu’il a vu et vécu et après il a essayé de reprendre le cours de son existence. C’est le premier témoin et victime de la cruauté de l’Homme, et cependant il n’a jamais vraiment abandonné et nous sentons qu’il a encore une sorte de foi en l’humanité. Où trouve-t-il cette force étonnante?
Si seulement je le savais. Ecrire, pour moi, est une exploration de personnages et celui d’Abel semblait entièrement travaillé lorsque j’ai construit l’histoire autour de lui; comme si j’avais très peu à faire au-delà d’essayer de l’intégrer dans la page suivante et de le faire durer. Cela étant dit, je vois beaucoup de mon grand-père en lui et encore plus de mon arrière grand-père.
6/ “Wilderness” commence par la fin, et nous découvrons progressivement les différents personnages, les liens entre eux, leurs histoires…Pourquoi avez-vous
choisi cette construction particulière?
L’histoire d’Abel est celle d’une rédemption, de trouver son but. C’est un peu le destin, peut-être. J’espérais qu’en montrant comment le chemin de la vie d’Abel affectait directement celui des autres – dans le cas de Jane- que son histoire parlerait mieux aux lecteurs. C’était aussi, simplement, instinctif ; je ne sais jamais où une histoire va me mener ligne après ligne (mis à par la fin, je connais toujours la fin) donc je dois faire confiance à mon instinct et ne pas m’égarer. Cela peut être éprouvant pour les nerfs.
7/ Pour moi le point culminant du roman est, évidement, la bataille de Wilderness. Nous sommes déchirés entre la folie et la violence absolue que vous décrivez (j’ai été complètement crispé en lisant ce passage) et la soudaine rencontre d’Abel,
Grant et Hypatia, qui est une sorte de temps suspendu dans cette dévastation. C’est l’une des forces de « Wilderness » : le rythme est tel que nous ne pouvons pas lâcher le livre et nous sommes complètement impliqués dans l’histoire. Comment avez-vous décidé de le construire ainsi ?
Ce fut un vrai processus d’essai et d’erreur. Le plus longtemps, la partie « Guerre Civile » du roman était encerclé par l’histoire du Pacifique nord-ouest. Mais cet arrangement créait un problème avec la dynamique : aucune des parties de l’histoire d’Abel ne dégageaient ce sentiment d’urgence que je voulais communiquer. Quand finalement j’ai mis le doigt sur la structure de « va et viens » des chapitres j’ai vu que je pouvais l’utiliser pour mieux agencer les parties disparates de la vie d’Abel et permettre au lecteur de prendre une part active en mettant toutes les parties ensemble. Cela ma semblé, en quelque sorte, motivant et ça correspondait au paysage dans lequel se trouvait Abel au début du roman. Aussi, j’ai toujours aimé les histoires qui se rassemblent de manière progressive, comme les pièces d’un puzzle, et je suppose que j’ai essayé de faire la même chose avec Wilderness.
8/ La majorité des rapports entre vos personnages sont basés sur le sang ou la guerre. Est-ce une vision générale de l’humanité ou est-ce que cela correspond à un moment bien précis de l’histoire des Etats-Unis?
Les deux. L’histoire humaine n’est qu’une succession de conflits et les conflits ne sont rien d’autre que de la guerre et du sang. C’est très facile d’écrire sur ce sujet. Le plus dur est de trouver le sens de tout ça et, au-delà de cela, de l’imprégner de toute sorte de buts qui ne sonnent pas faux et artificiels.
J’ai souvent eu peur que les scènes de violence dans le livre, surtout la scène de bataille étaient excessives, que j’étais allé trop loin. Mais alors j’ai fais un peu plus de recherches, lu les mémoires d’autres soldats, et me suis alors demandé si j’étais allé assez loin.
9/ Votre premier roman a reçu un très bon accueil critique et publique, cette accueil ne vous met-il pas trop la pression pour le second roman ?
Je mentirais si je n’avouais pas que cela a pesé sur moi. Wilderness a eu un bien meilleur accueil que ce que je n’aurais jamais pu rêver et il a changé ma vie (en mieux !) d’une manière que je n’aurais jamais osé espérer. Cependant heureusement pour ce qui est de ma façon de travailler – l’espace mental dans lequel je rentre quand j’écris – je peux plus ou moins mettre cette pression de côté pendant que je travaille, et si cela se passe bien, oublier pendant un moment. Dormir la nuit cependant, c’est une autre histoire.
10/ S’il vous plait, pouvez-vous nous parler de votre prochain roman ? Le titre ? L’histoire ?
Il s’intitule « American Marchlands » et c’est un autre roman historique. C’est sur deux hommes – Tom Hawkins et son ami d’enfance, Pigsmeat Spence – qui quittent leurs maisons pour l’ouest américain et tentent de faire quelque choses par eux mêmes. Ce qu’ils vont trouver sont de grands espaces vides, beaucoup de violence, et presque aucun but jusqu’à leurs rencontre avec Flora, une esclave auto-émancipée qui les embarque dans une quête impossible. Le livre se déroule, principalement, en 1846 qui, dans l’Histoire de l’Amérique, est une des années qui a vu beaucoup d’événements marquants depuis le début de la guerre américano-mexicaine, l’ouverture de l’Ouest, et la montée des conflits avec les différentes tribus indiennes des plaines. « Américain Marchlands » parle beaucoup de cela.
11/ Avez-vous une date pour la sortie américaine ? française ?
Je viens juste de le finir donc je suis dans l’inconfortable situation d’attendre de voir comment il va être reçu par le monde de l’édition. Ma femme semble avoir aimé ce qui est déjà un énorme obstacle de franchi.
12/ Avez-vous eu un coup de cœur pour un roman sorti en 2013 ?
J’ai encore environ 75 pages à lire, mais “The Lowland” de Jhumpa Lahiri va probablement être mon livre de l’année. Il est élégant, émouvant et les personnages de Lahiri sont absolument vivants.
Parce que j’ai travaillé si dur sur “American Marchlands,” je n’ai pas lu autant de romans que d’habitude mais je serais négligent si je ne mentionnais pas également «Rivers» un premier roman d’un écrivain américain, Michael Ferris Smith.
Questions : Marcelline, Jérémy, Teddy
Traduction : Teddy
Merci à Lance Weller