Créée en 2003, la maison des d’édition les Moutons Électriques a rapidement trouvé sa place dans le paysage éditorial. Spécialisée dans les littératures de l’imaginaire, la culture populaire contemporaine et la réédition de littérature populaire ancienne, elle publie également la revue Yellow Submarine et a relancée Fiction, qu’elle édite en collaboration avec ActuSF et Mnémos dans le cadre des Indés de l’Imaginaire. Elle a notamment porté, pour notre plus grand plaisir, des auteurs comme Jean-Philippe Jaworski, Timothée Rey, Stephen Fry, Terri Windling…
André-François Ruaud, co-créateur et directeur littéraire des Moutons, a bien voulu répondre à notre questionnaire.
1/ Qu’est-ce qui vous a décidé à sauter le pas et à créer votre maison d’édition?
Je n’avais guère le choix : j’en avais plus qu’assez d’être libraire et je ne sais rien faire d’autre que lire, écrire, fabriquer et vendre des livres.
2/ Pourquoi avoir choisi de travailler dans ce domaine?
Par passion. Quand au lycée on m’a demandé de choisir mon « orientation », j’ai découvert qu’il y avait une formation « Métiers du livre » (la seule alors, à Bordeaux), j’ai donc foncé dessus.
3/ Quelle est votre politique/ligne éditoriale?
C’est également une affaire de passion : j’aime les littératures de genre, donc c’est ce que je publie et que je défends, en fictions comme en essais. Donc, la science-fiction, la fantasy, le polar, tous les « mauvais genres » et tous les imaginaires contemporains issus de la culture de masse (avec en plus des romans, des essais sur les grands sujets provenant de la « culture geek », les séries télé, le cinéma de genre, la bande dessinée, les comic books, les jeux vidéo, etc.) Comme j’aime la belle langue, j’essaye de faire en sorte que les littératures de genre que je publie soient d’un certain niveau d’exigence stylistique. Et comme j’aime les livres, j’essaye de les faire de plus en plus beaux.
4/ Pouvez-vous présentez les différentes collections des Moutons? Quels sont les livres/ les raisons qui ont amenés leur création?
Il y a la « Bibliothèque rouge », née de la fascination de Xavier Mauméjean et moi-même pour Sherlock Holmes, Arsène Lupin et Hercule Poirot : ce sont de vraies-fausses biographies de grandes figures mythiques de la littérature populaire, traitées « comme s’ils étaient réels ». Il y a la « Bibliothèque des Miroirs », créée avec Julien Bétan et consacrée à l’étude de cette culture populaire actuelle que l’on nomme la « culture geek » et qui est en réalité l’autre versant de cette immense montagne qu’est la culture en général. La « Bibliothèque voltaïque » réunit tous nos romans et recueils, essentiellement des créations inédites en science-fiction, fantasy et un peu de polar ; son fer de lance est un grand auteur que nous avons eu le bonheur de découvrir, Jean-Philippe Jaworksi. Et le « Rayon vert » fait des rééditions et des traductions de littérature populaire ancienne devenue introuvable. Enfin, nous partageons la gestion de la collection de poche « Hélios » avec nos associés Mnémos et ActuSF.
5/ Comment choisissez-vous les textes, les auteurs avec lesquels vous allez travailler?
Le processus est vraiment très variable : il y a les auteurs qui nous approchent ou que nous contactons par réseau, les plus nombreux. Ce sont des personnes avec lesquelles nous avons envie de travailler, parce que nous connaissons leur compétence dans un domaine ou leur talent en matière de fiction. Par exemple, trois écrivains réfléchissent en ce moment à des romans pour moi, sur ma demande. Et puis il y a les projets qui nous sont proposés de manière extérieure : les essayistes qui nous soumettent un sujet ou les romanciers qui nous envoient un manuscrit. Le premier volume de Jean-Philippe Jaworksi nous est simplement parvenu par la Poste. Bien entendu, en matière de romans il y a beaucoup de soumissions et fort peu d’acceptations, à la fois du fait de notre grande exigence stylistique et parce que nous ne publions pas des montagnes de livres, forcément.
6/ Comment se passe le travail avec l’auteur (et le traducteur le cas échéant) depuis la sélection de l’ouvrage jusqu’à sa sortie?
La traduction n’est pas trop notre domaine, en dehors de quelques inédits anciens. Nous travaillons surtout sur de la création, avec des auteurs actuels et francophones. Et tous les cas de figure existent : il y a quelques auteurs dont on reçoit le manuscrit, que l’on lit avec ravissement et sans en changer ne serait-ce qu’une virgule. Il y en a d’autres avec lesquels on discute très en amont, sur synopsis. D’autres fois, on fait retoucher plus ou moins, cela peut aller d’une fin à changer à simplement des remarques çà et là sur des détails stylistiques ou de narration. Pour les essais, nous exigeons toujours un plan très détaillé.
7/ Comment se passe le travail de recherche de texte, de rédaction… sur les périodiques (Fiction, Yellow Submarine)?
Les deux périodiques sont autonomes de la maison d’édition : pour Fiction, Jean-Jacques Régnier coordonne le travail du comité de lecture et tout le processus de traductions ; Julien Bétan s’occupe des entretiens et des rubriques. Aurélien Police est le graphiste. Cette revue est maintenant coéditée par les trois éditeurs associés dans le collectif « Indés de l’Imaginaire ». La mise en page est effectuée chez les Moutons électriques mais les expéditions pour les abonnés sont faites chez Mnémos, par exemple. Fiction pioche dans sa revue-mère américaine, F&SF, pour toutes les fictions anglo-saxonnes, et accepte de lire des manuscrits pour ce qui est des fictions francophones. Du côté de Yellow Submarine, c’est Alexandre Mare qui dirige tout, en fonction de thémathiques qu’il établi.
8/ Un coup de projecteur sur une sortie plus ou moins proche?
Chaque livre que nous publions nous importe, bien sûr, car il n’y a aucune publication en laquelle nous ne croyons pas à 100%. Publier des livres demande trop d’efforts et d’investissements pour que nous acceptions des textes sur lesquels nous ne serions que partiellement convaincus. Mais s’il faut n’évoquer qu’une sortie prochaine, alors ce peut être le deuxième roman que nous a confiée Estelle Faye : Un éclat de givre, à sortir en juin. Il s’agit d’une fiction post-catastrophique à la tonalité incroyablement légère et juste, vraiment formidablement juste dans son ton comme dans ses situations. Ce qui n’exclut pas la gravité, mais on est là dans une fiction à la fois très contemporaine et conçue comme les récits populaires d’antan, une sorte de cape et d’épée dans un Paris déglingué et étouffant. C’est à la fois touchant et jubilatoire.
9/ Quel(s) texte(s) / auteur(s) auriez-vous voulu publier?
Je ne suis pas dans le regret ni dans l’envie… Bien sûr, Mordred de Justine Niogret aurait fait un volume parfait pour nous, mais ce superbe roman arthurien est paru chez Mnémos et c’est bien normal puisque c’est un auteur qu’ils ont découvert ! Un auteur que je rêvais de très longue date de publier, c’était Dominique Douay : quand nous avions créé les Moutons électriques, il y a dix ans, les droits de ses romans n’étaient pas disponibles, bloqués par ses anciens éditeurs. C’est maintenant débloqué et je suis très heureux, très fier, d’entamer la redécouverte de son œuvre par l’un de mes « romans cultes » personnels, L’Impasse-temps, avec en plus aussi un inédit, Car les temps changent, dans la collection de poche « Hélios ».
10/ Quel(s) texte(s) êtes-vous fier d’avoir porté?
Il m’amuse de dire que Jean-Philippe Jaworski avait été refusé par trois éditeurs, et que Timothée Rey l’avait été par deux éditeurs aussi. Voilà des auteurs sur lesquels je pense avoir eu du « nez », et dont les œuvres définissent fortement tout ce que je veux faire désormais. Tout récemment, j’ai eu un énorme coup de cœur pour Manesh de Stefan Platteau, lyrique et fort. Mais d’autres fois, des ouvrages peuvent passer plus inaperçus et constituer pourtant des fiertés pour l’éditeur : je pense à L’Épouse de bois de Terri Windling, une des plus superbes fantasy que je connaisse ; à Apocalypses ! d’Alex Nikolavitch, l’un de nos meilleurs essais et qui pourtant n’a pas bien marché ; ou au roman Minuscules flocons de neige depuis dix minutes, de David Calvo, que j’ai récemment réédité.