1) Bonjour. Pouvez-vous vous présenter brièvement pour nos lecteurs ?
Je suis professeur de philosophie à Paris. Je suis un passionné de technologie depuis ma plus tendre enfance (jeux vidéo, dessins animés…). Le terme « geek » n’était pas encore employé, mais le phénomène existait déjà.
En 4ème, j’ai créé un club de programmation informatique sur ZX 81 (NDLA : un des premiers ordinateurs domestiques abordables, avec 1 ko de mémoire!!!). Mes camarades m’ont suivi par curiosité, nous écrivions des programmes en Basic mais la plupart ont abandonné par manque de motivation. Parallèlement, depuis l’enfance, je découvrais les premiers anime diffusés en France (Albator, Goldorak…) et je lisais de nombreux ouvrages de science-fiction.
Je bricolais énormément d’électronique, notamment grâce à des revues disponibles en kiosque. Je décidais donc de m’orienter vers des études d’ingénieur, mais une incompatibilité d’humeur avec les mathématiques et un goût affirmé pour l’écriture m’ont conduit à me ré-orienter vers la philosophie, sans toutefois perdre mon intérêt profond pour la technologie.
Ce livre m’est alors apparu comme une opportunité pour expliquer cette passion à des philosophes qui en sont souvent très loin.
2) Existait-il déjà des recherches philosophiques sur le sujet ?
Très peu ! Deux titres pourraient me venir à l’esprit. Le premier est un titre américain de Mark Henderson intitulé « Geek Manifesto » qui me pose un petit problème dans la mesure où il se base pour définir le geek sur une définition à mon avis tronquée. Il n’en retient que le côté fan de science et de technologie.
A ma connaissance, le seul ouvrage récent qui retienne une définition complète du mot geek est « Culture Geek » de David Peyron. Le seul point faible de son analyse est qu’il part du cadre de la culture de convergence, idée présentée par le philosophe américain Henry Jenkins, qui décrit la culture geek comme une convergence de sous-cultures (cultures moins importantes ou hors de la norme, mais sans que cela n’aie de connotations péjoratives). Par exemple la saga Star Wars s’est étendue aussi bien dans le cinéma que dans la littérature et les jeux vidéo.
Or le problème qui va se poser ici est que le geek est exclusif à deux cultures : la technologie et les mondes imaginaires. Il n’y a pas en plus de ces deux passions, la passion de la cuisine par exemple ou du football ! Et ça, la thèse de Peyron ne l’explique pas.
3) La définition que vous retenez du geek est effectivement celle d’un individu passionné à la fois par la technologie et les mondes imaginaires. Pourquoi ce choix ?
C’est effectivement le sens qu’a pris le mot geek au fil du temps et sa définition la plus pure à mon sens. Il y a une importante interaction entre les deux. Il ne faut surtout pas penser que le geek passe son temps à programmer ! Il existe une idée fausse selon laquelle le geek est forcément ingénieur informaticien. Il essaie certes de s’approprier la connaissance des produits, notamment quand ses finances ne lui permettent pas de s’approprier le produit lui-même ! Son intérêt pour la technologie est plus fort que la moyenne, mais il n’en devient pas pour autant professionnel.
Le geek représente la forme populaire du post ou trans-humaniste. Alors que le geek voit dans la technologie une importante dimension de plaisir, le trans-humaniste pense que la technologie va transcender l’homme et lui permettre d’atteindre les promesses des religions. On peut presque dire que le trans-humaniste est au geek ce que les drogues dures sont aux drogues douces.
4) Quel est le regard de la philosophie vis-à-vis de la technologie et donc des geeks ?
Une grande partie de la pensée philosophique est contre le progrès technologique. On distingue principalement deux grands courants.
La première branche de la philosophie qui s’oppose à la technologie peut être qualifiée de philosophie croyante. En effet elle reproche à la technologie de proposer une solution alternative aux idéaux religieux, distrayant ainsi les humains de la foi. Le paradoxe en philosophie est que cette vision a d’abord été proposée par un philosophe non-croyant, Heidegger.
La seconde école de pensée qui vise la technologie est celle de la décroissance. Elle reproche au futur technologique de ne pas pouvoir être supporté par les ressources de la planète et de vouloir justement accomplir les promesses de la religion. Pour elle une croissance continue mènerait à la dystopie.
La philosophie peut cependant d’après moi voir une source d’intérêt dans la technologie dans la mesure où celle-ci rend possible des choses encore impensables hier (Skype, le GPS…). Le réel recèle la possibilité des choses technologiques et rend donc plausible la voie du trans-humanisme.
5) Dans votre livre, vous parlez même de modification du comportement par la technologie !
Il s’agit d’un champ de réflexion nouveau que peu d’ouvrages ont abordé. Ce serait la conséquence ultime de l’utilisation de la technologie afin d’améliorer la moralité humaine. La définition de cette moralité sera d’ailleurs sans doute amenée à évoluer avec la technologie. Il s’agit cependant d’un des points les plus extrêmes de notre réflexion actuelle et cela soulève des questions nouvelles. Est-il moral de tenter d’imposer aux gens d’être plus moraux ?
6) Dans votre livre, vous parlez de « vide idéologique total » qui a permis aux mangas et animes d’avoir l’influence qu’ils ont eu en France ? Pouvez-vous développer un peu cette idée ?
Goldorak a révélé la mentalité geek en France. Il en contient le résumé complet, avec un côté technologique important. On peut se demander comment cet anime a fait pour toucher autant de gens. Cela aurait été impossible dans un pays doté d’une idéologie forte telle que le communisme ou un système religieux puissant. . Par exemple, Pokemon a été interdit en Arabie Saoudite car il y a été considéré qu’il prônait la théorie de l’évolution. C’est le libéralisme intellectuel de la fin des années 70 qui a permis à la culture geek de se propager.
L’idée de mondialisation est également contenue dans Goldorak. Il y a un mélange d’écritures occidentales et japonaises, d’influence de western et de traditions nippones. Ce sont des mélanges courants dans la société japonaise qui a été marquée par l’occupation américaine de l’après seconde guerre mondiale.
C’est la disparition des grands rêves idéologiques qui a permis le développement des geeks au travers du monde. On peut même penser que la culture geek est en train de se développer au point de devenir une nouvelle idéologie.
Un de mes passe-temps est de regarder les kits EDC et BOB (Bug-Out Bags) présentés par leurs propriétaires sur les forums et les blogs. S’ils sont une source d’inspiration indéniable pour mon propre équipement, je ne peux toutefois m’empêcher d’être très sceptique sur la présence de certains objets ou certains usages courants dans les milieux EDC et survivalistes. Dans ce billet je vais donc tenter d’exposer ce qui selon moi constitue de fausses bonnes idée. Notez qu’il ne s’agit que d’opinions : les avis contraires sont bienvenus en commentaire 😉