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Iulian Ciocan – Et demain les russes seront là

Alors qu’hier encore était synonyme d’une routine embourbée et d’un semblant de confort, tout bascule un beau matin d’été 2020 pour Nicanor Pigeonneau et ses voisin·es moldaves. Comme au lendemain d’une soirée trop arrosée, iels se réveillent abruti·es et sonné·es par une nouvelle fraîchement tombée : l’invasion militaire de la Transnitrie par les Russes au court de la nuit.
Fuir en Roumanie devient alors l’unique porte de sortie pour le professeur de latin, qui tente de garder la tête froide malgré le climat de panique tourbillonnant autour de lui. Les appartements sont abandonnés à la hâte au profit des voitures où s’entassent cahin-caha les lambeaux d’une vie.
Mais alors qu’un avion rempli d’hommes politiques en exode se fait torpiller sous ses yeux et que l’accès à la frontière roumaine lui est refusé pour cause de passeport périmé, Nicanor Pigeonneau doit se rendre à l’évidence : la situation est bien pire qu’il ne l’imaginait. 

1995, Marcel Poudre parvient à trouver un emploi malgré les difficultés auxquels il se heurte. Fraîchement diplômé d’une fac roumaine, il revient en Moldavie plein d’espoirs et d’ambitions, avec sous le bras un texte qu’il pense voué au succès. Mais l’implacable dureté de la réalité le rattrape bien vite : entre la misère de ses parents, le climat économique en berne et l’hypocrisie des éditeurs, il va devoir s’abaisser aux magouilles pour garder la tête hors de l’eau. Quitte à se faire des ennemi·es aussi inattendu·es que rancunier·ères…

Publié en 2015, Et demain les Russes seront là entre en une résonance grinçante avec le contexte géopolitique actuel en Ukraine. Si à l’époque Iulian Ciocan ne pouvait pas prédire ce qui allait se passer une poignée d’années plus tard, il s’est sincèrement inspiré de l’une des plus grandes craintes des citoyen·nes moldaves pour imaginer ce récit pétri de situations kafkaïennes. Sans se départir de son style à l’humour absurde et caustique (que l’on retrouve dans L’Empire de Nistor Polobok et Le Royaume de Sasha Kozak), il resserre l’étau implacable de la fatalité autour de ses personnages, en proie aux désillusions et à l’ironie du sort.
Caricaturaux dans leurs travers, dans l’étroitesse de leur esprit et en proie avec leur individualité, ils se débattent pour atteindre leurs rêves ou encore préserver le confort étriqué de leurs petites vies. 

Un rien fait voler énergie éclat les acquis sociaux et la sécurité tranquille, poussant les protagonistes à lutter pour leurs survies en s’abaissant aux pauvres magouilles et aux revanches les plus mesquines. Les priorités sont reconsidérées, les sentiments relégués au second plan et les relations humaines s’avèrent vides de sens. Tel un fragile château de cartes, les privilèges s’effondrent, mettant à mal l’inflexibilité de la morale. Comme dans un palais des glaces, les histoires se chevauchent et s’entremêlent, brouillant les frontières entre fiction et réel. En effet, Nicanor Pigeonneau pourrait bien être le malheureux héros du récit d’anticipation de Marcel Poudre, lui-même figure de papier évoluant entre les pages d’un roman à l’humour pince-sans-rire, critique acide d’une réalité bien palpable. 

Fort d’une originalité caustique, Et demain les Russes seront là capture le ballet acharné et claudiquant d’une galerie de personnages muselés par plus puissant·es qu’eux. 

Crédit photo Dirk SkibaTraduit du roumain par Florica Courriol
Tropismes éditions 
210 pages
Caroline

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Chroniqueuse

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