Jack Finney revient sur le devant de la scène ce mois-ci grâce au superbe travail d’édition du Bélial’. L’auteur du « Voyage de Simon Morley » s’offre une seconde jeunesse ici avec la réédition de son « Body Snatchers », une œuvre de science-fiction avant-gardiste et adaptée de nombreuses fois au cinéma.
Les Body Snatchers, nommés aussi des « Resurectionnists », étaient au Royaume-Uni du XVIIIe et au début du XIXe siècles, des voleurs de cadavres fraîchement enterrés dans les cimetières. La plupart du temps, ils agissaient de nuit et parfois avec la complicité des gardiens, puis les revendaient à des médecins anatomistes qui en avaient besoin pour leurs recherches. Ils agissaient en bande, et étant nombreux sur le marché, pour lutter contre la concurrence, des meurtres commencèrent à être organisés afin d’obtenir plus de cadavres à vendre. L’histoire des Irlandais Burke et Hare qui tuèrent dix-sept personnes pour approvisionner un professeur d’Édimbourg fit grand bruit en 1828, et ce qui fut le début de la fin de ce trafic de corps pour la science.
Ici, Jack Finney utilise sciemment le titre pour aborder le remplacement d’humains par des extra-terrestres volant leur vie et leur apparence, abordant ainsi une thématique en vogue dans les années 50, à savoir la figure du simulacre, que l’on peut retrouver chez Philip K. Dick notamment.
Dans la bourgade de Mill Valley, le médecin Miles Bennell, assiste bien malgré lui, à la montée en puissance d’une inquiétante psychose. Des patients viennent le voir afin de signaler qu’un proche a été remplacé, exactement pareil, parle de la même manière , se comporte à l’identique, et possède les mêmes souvenirs, mais les patients de Bennell, sont formel, ce ne sont plus les mêmes. Ce qui par la force des choses commence à inquiéter le docteur et le pousse à aller plus loin dans les recherches afin de déterminer l’origine de ce mal collectif. Mais c’était sans compter sur le cadavre qu’il va finir par trouver chez un ami auteur, lisse de toute expression et empreinte, comme s’il était totalement neuf et attendait son second moulage pour être finalisé.
S’agit-il ici d’une psychose collective, ou bien d’un mystère encore plus grand impliquant le remplacement des humains par d’autres entités à l’origine inconnu et aux motivations obscures ?
Body Snatchers, l’invasion des profanateurs est un absolu classique de la science-fiction, porté à l’écran par Don Siegel, Abel Ferrara, ou encore Philip Kaufman, etc… Jack Finney a su canaliser énormément d’idées, dans son second roman, par le biais du genre afin de brasser bon nombre de thématiques tout en proposant une histoire efficace.
Le relire aujourd’hui c’est constater l’empreinte de son époque, le McCarthisme en tête, la crainte des communistes, ou encore la manipulation de la société à des fins idéologiques, notamment avec la figure du psychanalyste, préférant rejeter la réalité et tenter d’imposer l’idée d’une illusion collective, invalidant ainsi les peurs et craintes réelles et fondées en décrédibilisant les protagonistes. Ce qui invariablement pose la question du réel et ce que nous sommes prêts à accepter pour accepter ou non dans ce dernier.
Jack Finney avec Body Snatchers développe un traitement à part des envahisseurs, ici pas de soucoupe volante, pas de petits hommes verts, les envahisseurs brillent par leur invasion sournoise, privilégiant ici le grand remplacement plutôt que l’invasion belliqueuse et direct. D’ailleurs, il est à noter l’excellente apparence originale des envahisseurs, une nouveauté pour l’époque en prenant volontairement à contre-courant l’apparence humanoïde des extra-terrestres qui dominait la science-fiction de l’âge d’or.
Le éditions du Bélial’ nous propose une réédition de luxe avec une superbe préface de l’éditeur revenant sur les différentes éditions du roman. Nous retrouvons également une passionnante postface de Sam Azulys ainsi qu’une bibliographie complète de Jack Finney.
Body Snatchers est un classique comme nous le disions plus haut, mais au-delà, il s’agit d’un excellent roman de science-fiction, malin, drôle et aventureux, ayant beaucoup plus à offrir qu’une simple histoire, servi par l’impeccable traduction de Michel Lebrun avec une superbe couverture signé Aurélien Police.
Le Bélial,
Trad. Michel Lebrun,
272 pages,
Ted.