Je suis la ville de la paix. Si si, c’est du moins ce que veut dire mon nom: héritage de la paix. Ça vous fait marrer hein! Moi aussi. J’existe depuis des millénaires, j’ai vu toutes vos religions naître et s’épandre comme une plaie, et l’on m’écartèle pour cela. Ma beauté n’est plus à dire et je fascine tant par mon histoire que pour le symbole. Symbole qui est repris dans de nombreux endroits, et bien des personnes se retrouvent entraînées dans mon sillage sans comprendre pourquoi… Je suis Jérusalem.
Tenez, prenez ce couple là, débarquant à New-York de leur Virginie bigote dans leur dinde roulante, elle dans l’espoir de devenir artiste, lui finissant par le devenir à sa place. Elle, la Jézabel de Colonial Pines, poursuivie par les mots, la rancœur (et le désir?) de son oncle le prêcheur fou du dimanche. Elle se retrouvera en plein cœur du conflit, l’aurait-elle crû, serveuse au Isaac & Ishmael’s, le bar israélo-palestinien de United Nations Plaza qui cristallise tous les fanatismes qui n’ont pas les moyens de se payer un billet d’avion jusqu’à moi.
Et voyez plutôt cette Boîte de Haricots, cette Chaussette Sale et cette Cuillère à Dessert. Abandonnés par notre couple, encore un peu heureux à ce moment, après un coït interrompu, ils rencontreront Bâton Peint et la Conque, les reliques du culte d’Astarté qui prennent la route jusqu’à moi afin d’être à l’heure pour la construction du 3ème temple sur le Dôme du Rocher et l’avènement qui s’en suivra. Avènement attendu par tous les fous de dieu du quartier, qui aimeraient bien y mettre leur grain de sel, tandis que les critiques d’art new-yorkais s’extasient devant un gallinacée motorisé arrivé de Virginie… Nous voilà bien.
« Tant qu’une population peut être amenée à croire en un au-delà surnaturel, elle peut être opprimée et contrôlée. Les gens sont prêts à supporter tyrannie, pauvreté et mauvais traitements de toutes sortes s’ils croient dur comme fer qu’au bout du compte, ils auront droit à un lieu de villégiature au ciel, où les surveillants de baignade ne sont plus nécessaires et où la piscine est ouverte en permanence. De plus, les croyants sont généralement disposés à risquer leur peau dans toute aventure militaire dont leur gouvernement vient à vanter les mérites. Quand tombera le sixième voile, nul doute que la chair à canon se fera plus rare. »
Sur le chemin de la ville sainte, nombreux sont les obstacles, les rencontres étranges et les coïncidences. Au rythme des sept voiles de Salomé, qui égrènent leur vérité à qui réussira à s’en imprégner, le salut viendra peut-être d’une boîte de haricots, d’une vieille chaussette ou d’une dinde roulante. A moins que ce ne soit Norman le Pivotant. À voir…
Tant qu’on a le Super Bowl.
Une intelligence folle, un cynisme brillant, un humour décapant et un lâcher-prise maîtrisé, ma première incursion chez Tom Robbins va sans aucun doute en appeler maintes autres. Un roman brillant qui n’épargne personne, le milieu de l’art new-yorkais, les religieux de tous poils, les rednecks, les cuillères à dessert… Mêlée à tout cela s’entortille une analyse fine et sans clichés du conflit israélo-palestinien en remontant aux origines des territoires, au pays de Canaan, le tout au rythme de la danse de Salomé, qui s’effeuille et dévoile le monde.
Entrez dans la chambre au papier peint de la femme-louve.
538 pages
Gallmeister
Marcelline