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Jérôme Ferrari & Oliver Rohe – A fendre le cœur le plus dur

Comment utiliser au mieux la représentation des résultats de la guerre à travers le devoir photo journalistique et le journalisme de propagande du début du siècle ? Comment l’immédiateté de l’image a fait du tort aux textes des journalistes et a obligé à repenser le photojournalisme ? Comment se représentait-on un conflit entre un empire en déclin et une jeune nation désireuse de vouloir se constituer, tout comme ses voisins, un empire colonial digne de ce nom ? Comment l’Europe cheminait doucement mais surement vers la Grande Guerre ? Et surtout, surtout ! Comment le photographe de guerre doit-il représenter l’ennemi ?

Autant de questions qui trouvent un éclairage inédit à travers cet essai écrit à quatre mains par Jérôme Ferrari et Oliver Rohe. Tous deux auteurs de quelques beaux textes (Le sermon sur la chute de Rome, Où j’ai laissé mon âme, Le principe pour Jérôme Ferrari ; et Défaut d’origine, un peuple petit ou encore Ma dernière création est un piège à taupes : Klachnikov, sa vie, son œuvre pour Oliver Rohe). Ils écrivent un texte court et puissant, un essai réussi qui retrace le parcours de Gaston Chérau, mandaté par un journal français pro-italien, pour couvrir le conflit en Libye (1911-1912) qui opposa l’Italie et l’empire Ottoman. A travers une sélection de photographies tirées de ces reportages, les auteurs s’intéressent à l’immédiateté de l’image que les mots ne peuvent enjoliver, ou encore au processus de déshumanisation de l’ennemi en montrant notamment une enfilade de pendus au gibet sur la place publique. De l’intérêt naissant pour le photojournalisme aux nouvelles techniques de propagande là où l’image ne peut mentir c’est également un éclairage inédit sur les enjeux de la communication en temps de guerre.

« Le discours peut toujours enfouir les choses sous des couches rhétoriques jusqu’à les faire disparaître entièrement, les images ne peuvent que les montrer, fût-ce partiellement. Elles interdisent qu’on se réfugie plus longtemps dans une confortable abstraction. Sans voir les images, il est difficile, voire impossible, d’imaginer ce que cachent des expressions comme « maintien de la paix » ou « dommages collatéraux ». »

En bonus et en guise de conclusion à cet excellent essai, l’historien Pierre Schill revient sur ce conflit, son déroulement et son enjeu. Il remet sur le devant de la scène un évènement historique souvent mis de côté (comme trop souvent dès qu’il s’agit des conflits avec nos anciennes colonies). « A fendre le cœur le plus dur » est, à n’en pas douter, un titre essentiel dans la nouvelle formule des éditions Inculte/ Dernière marge.

« Hier matin, alors que nous nous croyions au calme, nous étions informés que l’armée se préparait à battre l’oasis. Nous sommes partis et nous avons passé la journée entière au milieu des palmiers et des orangers, fameux, dans la contrée de Aïn Rouss. J’ai encore vu des choses à fendre le cœur le plus dur – et des scènes et des scènes déchirantes au milieu de cette nature invraisemblablement sereine. »

Gaston Chérau, lettre à son épouse du 11 décembre 1911.

coeurinculteEditions Inculte/Dernière marge,
96 pages,
Ted.

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Fondateur, Chroniqueur

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