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Jessica Au – Pour qu’il neige

Une mère et sa fille, un pays, un voyage, des souvenirs. Voilà comment pourrait tenir le résumé de «  Pour qu’il neige », second roman de l’autrice australienne Jessica Au. Un deuxième roman que nous découvrons chez nous grace à la traduction tout en finesse de Claro et par le biais des éditions Grasset, dans leur collection « En lettres d’Ancre ».

Jessica Au est une jeune autrice, mais n’en est pas à ses débuts dans le monde du livre. Éditrice et libraire, elle publie un premier roman, inédit en France, Cargo en 2011. Depuis plus rien, pendant presque dix ans jusqu’à la sortie de son second roman qui va rencontrer un succès critique lors de sa sortie en Australie et dans les autres pays Anlgo-saxons. Un deuxième texte remarqué qui va lui faire remporté « The Novel Prize » en 2020, mais aussi un autre prix en Angleterre.

Pour qu’il neige et l’histoire racontée par une narratrice – que l’on ne nomme pas – en voyage au Japon, à Tokyo, avec sa mère. Un prétexte tout trouvé pour elle de tenter de recréer un lien avec sa mère, lien ténu qu’elle semble avoir perdu en devenu adulte et indépendante. En parallèle, nous suivons le fil de pensées de cette dernière, qui au gré de ses interaction avec sa mère ou des lieux visités nous plonge dans ses souvenirs, finissant par faire entrer en résonance passé et présent.

De par son propos, la narratrice dans une quête existentialiste tente d’établir un rapport d’inversion. Ici, l’enfant tente de transmettre au parent, et déploie son monde comme valeurs d’identité et d’intérêt, qui pour elle devrait permettre de construire un lien différent. Ainsi, en inversant les rôles, nous découvrons une narratrice soucieuse du rapport de transmission, mais qui se confronte à une mère peu réceptive et très souvent effacée, éthérée, voir relayée en arrière-plan, in fine, très peu réceptive aux intérêts marqués de sa fille.

Une narratrice qui elle-même, lors d’évocations de souvenirs, se questionne et digresse sur son parcours et ses valeurs acquises qui relèvent de sa propre sensibilité ou qui ont été construits pour se conformer à un certain cadre social pour satisfaire son biais d’appartenance.

Ce fonctionnement global dévoile une cartographie de la psyché du personnage comme un individu sans cesse en devenir et finalement cherchant avant tout et surtout à se faire valider par sa mère, comme une sorte d’examen final pour oser s’affirmer pleinement.

De toute cette démarche née, cette notion de distorsion entre réel et envie, deux mondes qui ont du mal à se connecter et finalement se retrouver sans cesse à buter l’un contre l’autre, et qui de part la toute dernière phrase du roman devient déchirant dans sa symbolique quant à l’impossibilité pour un enfant d’inverser le rapport de transmission.

D’une écriture directe et relevant de l’intime, parcourir l’histoire de la narratrice est un vrai plaisir tant Jessica Au avec une finesse et une grande sensibilité sait mettre les bons mots sur les propos développés et par petite touche, et sans jamais les dire clairement, nous fait ressentir les enjeux qui se jouent derrière ce séjour au Japon avec sa mère.

Ayant lu quelques retours sur le roman avant d’écrire cet article, j’ai pu constater que des lecteurs se plaignaient de la lenteur et du dépaysement (le Japon) comme manquant au récit. Mais il est dommage de s’arrêter juste là. Respectez-vous, creusez, laissez vivre l’histoire en vous, c’est un livre qui prend son temps, qui à un rythme singulier, et accepter de le laisser nous guider selon ses codes, c’est oser s’aventurer dans des terres qui nous semblent vaguement familières, mais en même temps différentes, rempli de sensoriel, de tendresse et de questionnement. C’est sûr que nous ne sommes pas là face à un texte cherchant à nous provoquer un vertige des mots, néanmoins, il ne manque nullement de profondeur. Par sa simplicité, il ne cesse de taper juste, à chaque fois.

Un texte lumineux sans être tapageur, portant en son sein une vérité d’acceptation et mettant l’accent sur l’importance des liens et du parcours comme accomplissement de l’individu. « Pour qu’il neige » est une belle surprise, touchant et malin qui saura à n’en pas douter raisonner en vous.

Éditions Grasset,
En Lettres d’Ancre,
Trad. Claro,
180 pages,
Ted.

À propos Ted

Fondateur, Chroniqueur

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