Un dernier livre avant la fin du monde WebZine Littéraire
Dans Paroles, Juan Branco adopte une approche littéraire nouvelle par rapport à ses précédents ouvrages à charge, en choisissant cette fois la forme de l’aphorisme. S’éloignant de ses essais politiques comme Crépuscule ou Coup d’État, il tente ici une synthèse poétique de ses idées dans un recueil aux accents philosophiques et critiques. Une tentative d’enrichissement stylistique qui laisse cependant parfois une impression d’opacité, où concision rime avec hermétisme.
Réflexions éclatées : la poésie au service de la critique sociale
Avec Paroles, Branco ne cherche pas à expliquer mais à suggérer. Chaque aphorisme devient une capsule réflexive, un instantané qui invite à la méditation sur des thèmes récurrents dans son œuvre : la justice sociale, l’écrasement des individus par les élites, ou encore la vacuité des révolutions avortées. Cette approche fragmentée, qui pourrait séduire par sa poésie, peut toutefois créer un sentiment d’incomplétude. Les lecteurs sont paraît-il partagés, et nous le sommes tout autant : en effet, là où certains louent la puissance des formules, d’autres déplorent le manque de développement des idées, ce qui rend le tout parfois difficilement accessible.
“Le pouvoir d’assèchement que la communication exige à ses instruments pour propulser ses contenus alterne entre terrifiant et fascinant.” (p. 32)
“La catharsis est un processus d’inversion mythologisant.” (p. 39)
“La mort n’est exclue du politique qu’en des temps installés. Le camp, ségrégation du désagrégé, maintient le monopole politique de l’Etat face à la menace de déconstitution à laquelle il est confronté.” (p. 77)
“La beauté, en tant que surface et artifice, est le facteur d’attachement social qui surgit lorsque tous les autres viennent à manquer.” (p. 225)
“Inverser. Se comporter en moins que rien, se vautrer dans sa propre saleté. Ressentir la nausée. Plaisir souvent incompris, car inaccédé. Pour le ressentir, s’en délecter, non seulement se placer en situation de le vivre, et par placer en situation j’entends la constituer, la créer, s’y plonger, comme dans une vague, légère, qui touche à mi-corps, et y attendre, mais surtout tenir. Contre tout, sans rien, par-delà le plaisir et l’instant consacrés.” (p. 284)
Entre hermétisme et prétention : la réception divisée
Comme pour ses précédents ouvrages, Branco ne fait pas l’unanimité. Le contraste entre l’ambition poétique de l’auteur et la complexité du contenu est palpable ; les aphorismes, souvent percutants, peuvent laisser une impression de profondeur, mais ils restent parfois obscurs, créant un fossé entre l’intention de l’auteur et la compréhension du lecteur, qui doit s’accrocher pour suivre le propos. Car le recueil, bien qu’esthétiquement soigné, demande une lecture attentive pour ne pas perdre le fil des multiples références politiques et philosophiques qui sous-tendent ses phrases.
La puissance du verbe, la faiblesse du fond ?
Si l’on peut donc saluer l’effort de se détourner des essais pour tenter une approche plus littéraire, Paroles risque de frustrer les lecteurs qui espéraient une continuité plus directe avec les textes pamphlétaires de Branco. L’auteur semble vouloir élever son propos en le rendant plus universel, mais la forme aphoristique ne permet pas toujours l’approfondissement nécessaire pour pleinement comprendre ses réflexions.
Au final, ce recueil pose une question intéressante, celle de la compatibilité entre style poétique et engagement politique : le message de Branco gagne-t-il en subtilité ce qu’il perd en clarté ? A vous d’en juger.
Editions Au Diable Vauvert
368 pages
Faustine
