Entre autres écrivaine, biologiste, activiste et militante trans, Julia Serano a publiée une série d’essais dont est tiré Manifeste d’une femme trans. Dans ces textes, elle analyse la place des femmes transsexuelles dans la société: exclues par certaines branches du mouvement féministe (dans les lieux non-mixtes notamment), ridiculisées par les médias, marginalisées par les cissexuel.les mais aussi parfois par les homosexuel.les.
En remontant aux premiers cas d’études disséqués par des médecins, à qui elle donne le surnom sur mesure de «cerbères», elle retrace les absurdité pétries de préjugés puants auxquelles elles ont dû (et doivent toujours) se heurter. Conformités binaires et genrées (femme-talons-maquillage), analyses totalement biaisées fondées sur des mécanismes auto-centrés, déductions affirmant fièrement que la transsexualité n’est rien d’autre qu’une tendance toute nouvelle, développée grâce aux avancées chirurgicales permettant de changer de sexe, l’autrice aborde les nombreux obstacles rencontrés par les transsexuelles.
“Non seulement la réassignation de sexe est à peu près la procédure médicale la plus stigmatisée qui existe dans notre société, mais les personnes transsexuelles elles-mêmes sont rarement acceptées socialement et légalement en tant que femmes et hommes légitimes. On peut affirmer sans prendre trop de risque que les lesbiennes et les gays sont de loin plus respectés.es et accepté.es par l’hégémonie straight que ne le sont les transsexuels.les. par conséquent, l’idée qu’une personne trans déciderait de transitionner dans le but de «se conformer aux normes de genre hétéro sexiste» n’est rien de plus qu’une fumisterie absurde est irrespectueuse.”
“C’est bien là l’impasse inévitable à laquelle on arrive lorsqu’on tente de décrire les femmes trans comme de «fausses» femmes (que cela proviennent des médias ou des féministes) : cela nécessite de donner des valeurs, des significations et des noms différents au même comportement en fonction du sexe de la personne qui les exprime (en l’occurrence: ses organes génitaux de naissance ou son genre apparent et perçu). En d’autres mots, cela nécessite d’être sexiste. À partir du moment où l’on défend l’idée qu’il existe des différences essentielles entre les femmes et les hommes, on poursuit un raisonnement qui finira inévitablement par réfuter les principes féministe au lieu de les défendre.”
Julia Serano dresse la liste effarante des croyances issues de la domination cissgenrée et cissexuelles. Les transsexuelles sont une minorité sexuelle qui doit céder à des dictats aberrants et réducteurs, devant se plier à des normes sociales pour avoir le droit de transitionner pour ensuite passer sous silence leur parcours et leur passé. Il y a une réelle sélection de candidates à la transition, triées selon leur capacité à s’intégrer ou non dans leur nouveau genre. Comme elles doivent s’effacer et garder sous silence leurs transitions, elles disparaissent totalement, leurs expériences personnelles sont altérées, remodelées, leurs corps exploités.
Dans ce recueil de textes, elle exprime la dévalorisation globale de la féminité, les stéréotypes autour de l’image de la femme trans, décrites comme «usurpatrice», prédatrice sexuelle ou bien «transsexuelle pathétique», tous véhiculés au cinéma, dans les téléfilms ou bien encore dans la littérature. En effet, pour qu’une femme trans «passe», il faut qu’elle corresponde à l’idée que l’on se fait de la féminité: qu’elle soit maquillée, parée, sexy. Pourquoi donc changer de sexe si c’est pour porter une simple tenue jean-teeshirt? C’est pour cela que l’on voit toujours dans les magazines des femmes trans en train de se mettre du rouge à lèvre, d’enfiler une paire de bas ou bien porter une tenue hyper sexualisée.
“L’effémimanie est avant tout une expression du sexisme traditionnelle. Dans la mesure où les cerbère font généralement reposer leur travail sur la conviction implicite que la féminité est inférieur à la masculinité, le fait qu’il considère la «féminité des garçons» comme un problème plus grave que la «masculinité des filles» ne devrait pas nous surprendre.”
Julia Serano se penche également sur cette fameuse expression: «passer», qui est elle-même diminuante car elle sous-entend que la transsexualité est une affaire d’artifices et de mensonges. Une imposture. Qu’une femme trans n’est jamais qu’un homme ayant l’air d’une femme et un homme trans une femme ayant l’air d’un homme. Seulement, il s’avère que «passer» pour un garçon toute son enfance et une partie de sa vie, être perçue comme tel, est beaucoup plus oppressant et difficile pour une fille trans que vivre sa transition. Etant mégenrées toute une partie de leur vie, les personnes transsexuelles façonnent donc une relation aiguë au genre et à la perception d’elles-mêmes, sentiments qui sont balayées par le mécanisme d’oppression cissexiste.
“Dans les deux cas, l’imitation est avant tout une forme d’expérimentation qui permet de faire le tri entre les comportements qui conviennent à la personne et qui étaient jusqu’alors retenus, et ceux qui la mettent mal à l’aise, qui gênent la perception de soi et qu’il convient mieux de laisser de côté. À partir du moment où l’on reconnait ceci, il devient évident que les tactiques de facsimilation font deux poids deux mesures entre, d’un côté, la minimisation des processus d’imitation mise en œuvre par les personnes cisssexuelles (ce qui a pour effet de naturalisé l’argent) et d’un autre côté, l’exagération des processus d’imitation mise en œuvre par les personnes transsexuelles (ce qui a pour effet d’artificialiser nos genre).”
Cette lecture bouscule les aprioris inconscients que l’on peut avoir (et que l’on a surement, du moins en partie) sur les transsexuelles, dénonce les comportements effarants de la société face à elles. Manifeste d’une femme trans est une analyse percutante de la transphobie, dont la totale hypocrisie est tant bien que mal cachée sous une incompréhension fainéante visant à préserver l’équilibre préétabli des normes hétérosexuelles, cissgenrées et misogynes. Désigné, à juste titre, comme une bouffée d’air frais, je rajouterai que ce livre est essentiel, et même vital, pour une prise de conscience plus que nécéssaire qui aurait dû être réalisée il y a bien trop longtemps.
« Peut-être qu’un jour, quand la plupart des gens seront familiers avec le travail des artistes et des intellectuels transsexuel.les et intersexué.es, et quand l’œuvre que nous aurons produite sera si large et complète qu’aucune personne cissexuelle ou dyadique ne pourra plus couvrir ou noyer nos voix, alors d’autres artistes et intellectuel.les pourront aborder nos vécus et notre existence avec respect et sans nous exploiter. Mais d’ici là, les universitaires et les artistes dyadiques et cissexuel.les feraient mieux de poser leur stylo, d’ouvrir leur cerveau et de simplement écouter ce que nous avons à dire sur notre propre vie.
Editions Cambourakis
Collection Sorcières
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Noémie Grunenwald
208 pages
Caroline