Avec Skandalon, Julie Maroh nous plonge dans l’abîme du sens.
Adulé par ses fans, Tazane est au point culminant de sa gloire. La puissance de sa musique et de ses textes fascine adolescents comme critiques mais son attitude dérange. Il est arrogant, narcissique, provocateur, incontrôlable… et déclenche de nombreuses controverses. Chaque conférence de presse, chaque concert, s’annonce tendu et jusqu’à la fin on ne sait jamais quel démon va le posséder, ni quand, ni comment. Il ne le maitrise pas mais lui ouvre son âme. Il transgresse allègrement la morale et les lois de la société, tirant toujours plus fort sur la corde… Mais combien de temps tiendra t-elle encore ? Jusqu’à quand ses fans continueront-ils à le soutenir ? Jusqu’à quand les journalistes tendront leur micro dans l’espoir de recueillir les paroles du Rock-Star, dans l’attente d’une révélation, d’une nouvelle esclandre ? Jusqu’à quand son entourage proche continuera t-il à subir ses frasques et ses débordements ?
Chacun de ses gestes exacerbe la passion ou la haine de ceux qui le suivent et l’écoutent. Chaque réaction médiatique qu’il provoque alimente le feu qui brûle en lui. Il ne se remet jamais en question, est insensible à toutes reproches, ne montre aucun signe de rédemption : il construit son propre échafaud. Le voir s’enfoncer inexorablement dans la noirceur de son esprit, dans la brume épaisse de la réalité, donne envie de le tirer de ce tourbillon autodestructeur comme de l’y laisser crever. Certains lui apportent un soutien sans faille, d’autres le condamnent sans détour. Il méprise ceux qui l’idolâtrent et n’écoute pas ceux qui le blâment. La victime et le bourreau sont difficiles à démêler l’une de l’autre… Il est un “sujet brûlant” pour les médias et tout l’intérêt qu’on lui porte l’incite à pousser les limites toujours plus loin. Tazane et journalistes se repaissent mutuellement des scandales que l’un provoque et que les autres entretiennent. Le cercle vicieux semble interminable jusqu’au jour où la corde casse…
Entre référence mythologique et psychologie sociale, le second album de Julie Maroh ne peut pas laisser indifférent. La trajectoire du personnage est inéluctable parce que la notoriété comme l’impopularité entraîne dans une spirale émotionnelle et médiatique qui encense ou écrase : réactions à chaud, feu des projecteurs, narcissisme… rien ne se veut nuancé, tout est poussé à l’extrême vers une gloire autodestructrice. Comme tout scandale, Skandalon peut déranger, mettre mal à l’aise, mais c’est parce que l’auteur met le doigt là où ça fait mal pour souligner l’inconcevable réalité de la starisation et de la surmédiatisation. N’a t-on pas toujours l’impression d’appuyer trop fort quand on touche un point sensible ? Juste là où ça fait mal. Même quand on ne fait que l’effleurer. Vous savez cette sensation désagréable difficile à localiser et à définir, celle que l’on ressent quand on essaye de donner du sens à l’impensable, Tazane en est ici l’instrument.
Pauline