L’Ours et le rossignol est le premier volet de la Trilogie d’une nuit d’hiver de l’autrice américaine Katherine Arden.
L’histoire se déroule au XIVème siècle, dans une région sauvage et rude qui deviendra la Russie septentrionale. A Lesnaïa Zemlia, petit village à l’orée d’une sombre forêt, nous suivons les aventures de Vassilissa. Sa mère, Marina, est morte en la mettant au monde, et lui a transmis d’étranges pouvoirs …
Alors que Vassilissa est encore une petite fille, sa sœur aînée, fraîchement mariée, part, avec son époux, pour la lointaine Moscou. Son frère quitte lui aussi le foyer pour répondre à sa vocation religieuse et devenir moine. La petite Vassia grandira donc aux côtés de son père, Piotr, et sous le regard bienveillant de Dounia, la vieille gouvernante qui sait conter les histoires du folklore comme personne. Il y est souvent question de Morozko, le roi de l’hiver aux fascinants yeux bleus. Le roman est lui-même construit comme un conte, dans lequel les personnages folkloriques revêtent une grande importance.
Le domovoï n’existait pas ? Bien sûr que si. Elle le voyait tous les jours, il était juste là.
Vassilissa grandit, accompagnée et entourée par les esprits du foyer : le bannik, l’esprit des bains, le domovoï, gardien de la maison qui vit dans le poêle, ou encore le vazila, protecteur des écuries. Les saisons passent, la boue de l’automne est recouverte par la neige, permettant aux traîneaux de prendre la route et à Piotr de partir trouver une nouvelle épouse à Moscou. C’est Anna, une nièce de sa première épouse, qui lui sera donnée pour femme. Parce qu’elle est jugée folle (elle voit des diables partout) et qu’il vaut mieux la plonger dans l’oubli d’un petit village isolé.
Elle qui avait espéré de toute son âme entrer au couvent, et sa foi chrétienne chevillée au corps, la voilà perdue au bout du pays, dans une maison dont les recoins cachent ce qu’elle pense être des démons angoissants.
Symbole de la lutte, à l’époque médiévale, entre dogmes chrétiens et traditions , la relation entre Vassilissa et sa belle-mère oscillera entre violence et détestation. L’histoire prendra un tour des plus funeste lorsque la petite communauté sera rejointe par le père Konstantin, jeune prêtre envoyé à Lesnaïa Zemlia pour remplacer le curé qui vient de mourir. Soutenu par Anna, la jeune belle-mère de Vassia, il abuse rapidement de la crainte et de la fascination qu’il exerce sur les villageois. Peu à peu, dans la peur d’être sévèrement punis par le dieu chrétien, les paysans cessent de faire des offrandes aux esprits protecteurs du foyer et de la forêt. Le domovoï, le vazila et la roussalka, tous s’affaiblissent et dépérissent. Les maisons, les écuries, et les bois alentours perdent leur précieuse protection, exposant les villageois à de terribles dangers.
L’hiver qui suit, exceptionnellement froid semble régit par une malédiction. Le bois de chauffage brûle plus vite que d’habitude, sans pour autant réchauffer les maisons. Un premier enfant meurt dans ces terribles conditions, plus rien ne sera jamais comme avant. Vassia, que l’on traite de sorcière, sera dès lors confrontée à une terrible série d’épreuves et de choix.
Toujours à la périphérie du fantastique et du conte de fée, L’Ours et le rossignol est parcouru de références aux contes russes, jalonné de rêves prémonitoires et d’objets magiques. L’héroïne est une sorcière, de celles qui écoutent les esprits de la nature et les comprennent. Fidèle à la réalité historique de ce qui deviendra la Russie, Katherine Arden nous plonge dans un récit qui mêle surnaturel et croyances chrétiennes, dans un étrange syncrétisme propre à l’époque médiévale.
Il savait quel mal régnait sur ces terres. Il se trouvait sur le symbole solaire du tablier de la gouvernante, dans la terreur de cette femme stupide, dans les yeux farouches et fées de la plus grande des filles de Piotr. L’endroit était infesté de démons, les tchiorti de l’ancienne religion. Ces sauvages imbéciles adoraient Dieu le jour mais les dieux anciens en secret.
Ce récit est aussi celui du passage de l’enfance à la vie adulte, avec ses deuils, ses tourments et les choix difficiles qu’il faut faire. Vassia, qui fait face aux possibilités restreintes qui lui sont offertes en tant que femme – le mariage ou le couvent – préfère suivre une autre voie, celle de la liberté.
Elle rit encore. « Vous avez raison. Je suis idiote. Je suis née pour être en cage, après tout : maisonnée ou couvent, qu’y a-t-il d’autre ? – Tu es une femme. » Konstantin tenait toujours son bras ; elle recula et il la lâcha. « Tu l’accepteras avec le temps. Tu seras heureuse. » « Non, dit Vassia d’une voix rauque […]
Ce premier roman de Katherine Arden est un hommage poétique à l’univers folklorique russe, aux contes et à l’imaginaire. C’est aussi, à travers le personnage de Vassilissa, l’histoire d’une émancipation féminine.
Après avoir perdu ceux qui lui sont chers, et considérée comme celle par qui le mal arrive, elle quitte sa maison. Au galop sur son magnifique cheval, elle s’enfonce dans l’épaisse forêt enneigée, pour ne jamais revenir.
Paru le 17 janvier 2017 aux éditions Denoël, dans la collection Lunes d’encre.
Titre original : The Bear and the Nightingale (2017).
Roman traduit de l’anglais (États Unis) par Jacques Collin.
362 pages
amélie