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Querelle

Kevin Lambert – Querelle

Querelle, un titre qui interpelle pour un roman qui ne laisse pas indifférent.
Sous titré “Fiction syndicale”, Querelle nous raconte le quotidien de l’ouvrier éponyme : des journées à trimer à la scierie ou sur un piquet de grève et des nuits dans les bras de jeunes éphèbes dont il prend avec délectation les dernières miettes d’innocence.

Querelle est un jeune ouvrier de 27 ans qui travaille dans une scierie du Lac-Saint-Jean, au nord du Canada. Avec ses vingt autres collègues, ils viennent de décider de faire grève contre les multiples humiliations et abus de leur patron, le riche Ferland. Petit à petit, la grève se durcit et ce qui ne devait être que temporaire s’installe dans une routine et une spirale de plus en en plus violente. Dans la petite ville de Roberval, la forêt est une ressource économique importante, et la grève de la scierie touche bien plus large que ses seuls employés. Ces terres, dont les peuples autochtones ont été chassés pour mettre en culture les forêts, sont au centre de nombreux conflits, qu’ils soient de classes, syndicaux, ou encore coloniaux.

Dans ce petit écosystème du nord canadien, Querelle déchaîne les passions. Celles de ses collègues ouvriers, de ses patrons bourgeois, des syndicalistes homophobes, des forestiers opposés à la grève… Mais aussi et surtout celles des jeunes hommes qu’il fascine et entraîne dans son lit, et enfin celles de leurs pères qui, par jalousie ou honte, tentent de les éloigner de ce magnifique colosse, canon de beauté gay. Il est, et assume cela comme une force, l’incarnation du désir brutal. Dominateur, il choisit ses proies et les dévore sexuellement, à tel point que les rumeurs les plus folles courent dans la petite ville de Roberval.

Le bon garçon aime les soubresauts de la verge solide de Querelle, à laquelle la sienne dans sa main répond par un soubresaut pareil. Il ignorait qu’il existait des torses aussi parfait que celui de l’homme qui l’encule. Il s’appelle Querelle, le petit le connait. On parle de lui sur Grindr, dans les couloirs de l’école, dans les douches des vestiaires. Il se donne à une légende et il n’est pas déçu. En se contorsionnant un peu, il arrive à voir la base de la verge de son amant. Elle jaillit d’une ceinture d’abdominaux qui se termine en triangle de poils blonds, et se perd entre ses fesses. Le garçon doit se persuader qu’il n’est pas en train d’halluciner ce manche qu’il ressent si profondément dans son ventre. Il étire un bras, place une main sur la nuque rase. Querelle accélère, étranglant tranquillement le cou de sa jolie salope. En entendant ce mot, la petite chose qui pend au bout de sa queue couine et explose en jouissance.

Querelle est avant tout un roman porté par une magnifique langue, et c’est en grande partie dans ses passages de nuit qu’elle libère son potentiel littéraire. Quand le jour se démarque par une écriture réaliste, lente, plutôt portée sur les dialogues et la psychologies des ouvriers de la scierie, la nuit nous offre des abîmes d’orgies, de scènes crues et magnifiques, de fluides et de coups de reins.

Querelle est un roman éminemment politique, roman d’initiation et de construction pour le héros qui vit sa première grève et opposition franche et violente avec un patronat sans limite. Une littérature prolétarienne, faite de vécus, de petites histoires qui s’inscrivent humblement dans la grande.
Politique aussi par sa vision de la sexualité, débridée et scandaleuse, en opposition totale à la pensée normative et assimilationniste de certains homosexuels. Politique enfin dans les descriptions de la société canadienne en arrière plan du récit. Des personnages, des bribes d’histoires qui nous racontent le Québec avec toutes les violences qu’un pays libéral vivant sur des terres colonisées peut produire. L’exemple le plus frappant étant trois adolescents toxicomanes et violents, figures hallucinées en rupture complète de la société, surgissant soudain dans le récit pour le bouleverser et repartir subrepticement.

les glaces s’éternisent sur le lac Saint-Jean, les voitures passent vite sur la 169, le vent de Décembre est pas commode, impitoyable, tu mettrais pas un chien dehors. Pourtant ils sont là. Les chiens errants, qui traînent sur les bords des routes, rendus furieux, qui brisent leurs chaines, s’échappent des fermes lointaines ; ils courent dans la campagne, çà et là, en proie à la folie. Et les grévistes, 7 heures 30 le matin, le soleil à peine sorti pour venir crever le gris froid de l’hiver , pris entre la route régionale et la grille d’entrée, ils ont le lac dans les yeux, un feu qui brûle timidement dans une vielle cuve, et pas grand-chose d’autre. Il crépite et gigote un peu, le feu, il fait ce qu’il peut pour réchauffer le monde. C’est pas chaud, dit Judith en arrivant avec son plateau de cafés Tim Hortons, elle s’est arrêtée à Roberval. Un lait un sucre chaque, pas une température pour jouer avec les petites dosettes ou les petits sachets : a moins trente-deux dehor – avec le vent -, t’enlèves pas tes mitaines, et si elles ont un trou dedans, tu le sais tout de suite.

Querelle, un personnage (et un roman) hors norme donc, fils bâtard de Jean Genet et de Ken Loach, qui pourrait bien marquer son époque et devenir une des figures littéraire du XXIeme siecle.

Querelle Querelle
Kevin Lambert,

Le nouvel Attila, 2019
236 p.

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Chroniqueur

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