Kij Johnson est une écrivaine américaine, autrice de deux romans et d’une cinquantaine de nouvelles. Après avoir exercé de nombreux métiers étranges, comme éditrice de mots croisés cryptiques ou publicitaires dans une radio locale, elle se tourne entièrement vers l’écriture, que ce soit par son activité de romancière ou par les cours d’écriture qu’elle anime à l’université du Kansas.
Après Un pont sur la brume (Hugo et Nébula Award 2012, Grand prix de l’imaginaire 2017), les éditions du Bélial publient La quête onirique de Vellitt Boe (World fantasy Award 2017), un hommage et un prolongement critique et virtuose de la célèbre nouvelle de H.P Lovecraft, La quête onirique de Kadath l’inconnu. Magnifiquement illustré par Nicolas Fructus, dessinateur dont le travail autour de Lovecraft est fameux, ce livre est une excellente porte d’entrée sur l’univers des contrées du rêve.
Dans sa jeunesse, Vellitt Boe n’était pas l’enseignante casanière et bienveillante du Collège des femmes d’Ulthar. Voyageuse accomplie, elle avait parcouru en long et en large l’étrange monde des contrées du rêve, avait cherché les plateaux enneigés de Leng, traversé la forêt des Zoogs et même voyagé avec le mythique rêveur Randolph Carter. Puis, elle s’était établie à Ulthar et n’en avait que peu bougé. Mais lorsqu’une de ses étudiantes vient à disparaître, vraisemblablement au bras d’un homme du monde de l’éveil, elle décide de reprendre son sac à dos, sa dague, et de mener l’enquête.
« Le hameau où elle fit étape n’avait pas de nom officiel ; des siècles plus tôt, ses habitants avaient estimé que l’anonymat rendrait la tâche plus difficile aux Anciens tentés de les retrouver – sans parler des inspecteurs des impôts. Bien entendu, nul n’avait prévu que tout le monde finirait par surnommer l’endroit le Village Sans Nom, le baptisant par la même occasion. »
Le monde des contrées du rêve est un monde peuplé de dieux fous appelés les Anciens.
Une poignée de dieux majeurs, les Grands Anciens, dirigent et alimentent les querelles et les folies d’une foule de dieux mineurs, anonymes et absurdes, dont l’existence n’est tournée que vers la revanche et la destruction.
La plupart du temps plongés dans un sommeil tourmenté, ces dieux ne se réveillent que pour détruire une ville, stériliser une vallée ou rallonger de quelques semaines le voyage d’un·e inconnu·e en modifiant considérablement les distances et la géographie.
La quête onirique de Vellitt Boe peut se lire sans connaissance de l’œuvre de Lovecraft, mais ce serait manquer les innombrables références qui nourrissent le récit. Randolph Carter, que nous croisons ici sur le trône d’Ilek-Vad, est le personnage principal des Contrées du rêve et le double littéraire de H.P. Lovecraft. Le chat noir qui accompagne Vellitt depuis le début de sa quête, pourrait être celui que Randolph sauve à Ulthar… Kij Johnson prend de plus volontairement le contrepied de la nouvelle de H.P Lovecraft. D’un voyageur découvrant les contrées du rêve, elle met en scène une de ses habitantes en quête de notre monde. D’un homme ne prêtant que peu d’attention aux femmes et aux autres races qu’il rencontre, elle insiste sur les nombreux personnages féminins et les alliances, basées sur la confiance et la bonté.
Tout en reconnaissant la force de Lovecraft, l’autrice met en lumière les mécaniques racistes et sexistes à l’œuvre dans le texte d’origine. Une manière intelligente et fine de répondre aux questionnements actuels sur la censure ou la modification de textes perçus comme « problématiques » aujourd’hui.
Elle n’avait jamais vu de rêveuses. Pas la moindre. Un jour, elle avait demandé pourquoi à Randolph Carter.
« Les femmes ne rêvent pas en grand », avait-il répondu, dédaigneux. « Elles rêvent de bébés, de tâches ménagères… De tous petits songes. »
Les hommes des contrées du rêve disaient sans cesse de telles idioties ; ceux du monde de l’éveil aussi, visiblement.
Bien que les références aux Grands Anciens et une certaine ambiance néfaste rappellent le genre horrifique, le cycle des contrées du rêve est incontestablement une œuvre de Fantasy. Et Kij Johnson, dans La quête onirique de Vellitt Boe, réussit parfaitement le mélange des deux genres. La constante mise en doute de nos croyances, ce côté étrange et irrationnel des lois physiques par exemple, se conjugue avec brio au récit de voyage et d’aventure qui peuple le roman.
La quête onirique de Vellitt Boe est un roman fantastique, qui mêle littérature de haute volée, aventure et créativité au service d’un propos politique distillé tout au long du roman par fine touche. Brillant.
Ed. du Bélial
Traduction de l’américain par Florence Dolisi
Illustration par Nicolas Fructus
190 P.