« Parce que mon titre ne dit rien
Parce que mon quatrième chapitre est vicieusement parodique
Parce que mon intrigue ne prend sa pleine mesure qu’en son milieu
Je suis un risque
Prenez moi »
C’est ainsi que Thibaut Klotz accueille son possible lecteur au bas de la quatrième de couverture. Une accroche lucide et un joli aveu du risque qu’il y a à lire un livre vu sur une table de librairie et surtout de celui que prennent les auteurs a vouloir être lus.
L. est son premier roman, c’est aussi le premier noir publié chez Le nouvel Attila. Il est paru au mois de mai dernier.
On y découvre un policier étrange, flegmatique, cultivé, russophone et russophile, cantonné on ne sait pourquoi au classement de vieux dossiers judiciaires et se retrouvant à enquêter, par hasard, sur le suicide suspect d’un trader à Vilnius. Suivront plusieurs autres morts étranges entre Milan, Londres, Moscou et la Sibérie.
Le point commun entre ces morts, un livre de Théophile Gautier et une femme insaisissable. Pour Arthur, mauvais flic mais fin enquêteur, une quête plus qu’une enquête, de la vérité et de la mort. Il y trouvera le trouble mais aussi quelques réponses et de nouveaux mystères.
L’auteur joue avec l’archétype de la femme fatale. Elle est l’amour, la vengeance, un miroir des vanités, un memento mori incarné et plus encore, mais cela, on ne l’effleure que du bout des doigts, avant une possible suite.
Thibaut Klotz est analyste économique et grand connaisseur de la Russie. Son roman se situe en 2008, au moment de la crise financière et de l’affaire Kerviel. Patrick Devielle son avatar romanesque croisera lui aussi le chemin de cette mystérieuse femme. L’auteur, que l’on sent sensible à la crise morale que cela a engendré, semble prendre un malin plaisir à s’en jouer, tissant l’intrigue bien au-delà de cet aspect « actuel » et de la réflexion éthique qui la sous-tend, tout en réussissant à ne pas en faire un prétexte. Le dénouement, comme un joli coup (de théâtre) le prouve si besoin était.
L. est un roman envoûtant où l’auteur alterne les points de vue, usant de la langue avec plaisir et maîtrise, le chaud et le froid pour modeler les personnages autant que l’intrigue. Tantôt espiègle et tantôt grave, souvent poétique, à l’emphase subtile et toujours habilement mesurée, l’écriture est extrêmement évocatrice des états des personnages et de ce qui se joue entre eux.
Les changements de points de vue sont accentués, mis en valeur, par un jeu de contrastes, jusque dans la couleur de la typographie, en trois nuances de gris pour les trois figures centrales du roman.
Au-delà d’une coquetterie éditoriale, une contribution habile à la construction du récit, au service des multiples facettes du roman.
Entre Soutine et Théophile Gautier, Paris, Londres et la Biélorussie, les protagonistes étirent les fils de leurs destins croisés.
Il y a d’un côté ces traders, archanges d’une libéralisation sans âme mais se voulant toute-puissante, et de l’autre les deux héros, d’un autre temps, qui ne sont pas dupes de la réalité dans laquelle ils évoluent mais qui réussissent à s’en détacher pour vivre leurs temps propres, entre passé et présent, entre des frontières dont ils sont conscients mais finalement libérés.
Au sein de l’intrigue principale, Thibaut Klotz agence différents tableaux qui pourraient constituer à eux seuls des intrigues romanesques. Soutine, entre son village Biélorusse, sa fuite à Tours en 1941 et sa mort à Paris en 1943. Arthur Vega et ses passion russes et Olga, dont on aimerait découvrir les origines, tant l’auteur laisse imaginer de fascinants possibles, à l’instar de l’héroïne de Transparences d’Ayerdhal ou de celle de Stieg Larsson dans Millénium, en bien plus vraisemblable cependant.
Du polar, L. a le tissage des mystères et les figures troubles, du fantastique il aurait l’atmosphère, mais il est impossible de cantonner le roman à une idée de genre. Contrairement à beaucoup de noirs, la question du bien et du mal n’a finalement que très peu d’importance. Ce n’est rien moins que la vie et la mort qui sont au centre de l’intrigue. L’amour, le temps et la vérité sont noués comme les fils d’un tissage élégant et subtilement coloré.
Le livre regorge de facéties éditoriales, stylistiques et romanesques, sans jamais franchir la ligne de la facilité et du tape-à-l’œil. De nombreuses références, clins d’œil littéraires jalonnent le roman et ajoutent à la profondeur des personnages.
Et quel plaisir de manipuler un bel objet, à la maquette travaillée. La couverture est très belle, l’objet-livre attire la main autant que le regard. La quatrième de couverture et la liste de livres alphabétiques, fort à-propos, portent déjà des indices sur l’auteur et son propos, sérieux sans se prendre au sérieux, exigeant sans être pédant et élégamment espiègle.
« Aussi loin qu’il se souvenait, Arthur n’avait jamais pu encaisser la moindre réussite. Il exécrait les honneurs, et pensait avoir planifié lui-même, au prix d’insupportables prouesses, sa propre dérive vers la quiétude d’une vie d’indolence. Il craignait les défis à force de les relever, et passait son temps à esquiver la fièvre des jours ordinaires, tant que le sort lui refusait l’ivresse d’un nouvel Everest. »
Si écrire et publier un premier roman est un Everest personnel pour beaucoup d’auteurs, Thibaut Klotz a bravement gravi le sien.
Thibaut Klotz,
Le nouvel Attila,
317 pages,
Héloïse.