L’équipe des Éditions du tripode nous ouvre les portes de sa bibliothèque et nous invite à découvrir les ouvrages qui l’ont marquée durant cette décennie. Dix livres rares et beaux, dix livres à lire, à ressentir et à partager.
Je vous invite à découvrir leur catalogue composé d’OVNI, d’Arts et de Littérature et notamment leur sélection des dix livres ayant “une place particulière dans leur maison d’éditions”.
Hiroshimoi de Véronique Grenier, 65 pages, Éditions de Ta mère
L’amour rend vraiment fou ou il n’y a que les fous qui tombent amoureux, mais comme on est beaucoup dans cette folie on peut se comprendre, et c’est bien. Véronique Grenier raconte les mémoires d’une femme, dont la vie est passablement inintéressante, dont les histoires d’amour finissent mal. Mais elles sont puissantes, iconiques comme un Hiroshima mon amour, la rendent vivante et libre. Rien de plus à comprendre dans ce petit livre, rien qu’à admirer l’égoïsme qui plane au dessus de tout dans nos amours modernes, et élevé au rang de divinité : moi j’aime, moi je pleure, moi je lis.
Lynx de Claire Genou, 206 pages, Éditions José Corti
Un superbe premier roman. Aux abords de la forêt habitée de souvenirs et de cris sourds, Lynx lutte avec son enfance passée sous la chaleur écrasante de l’été. Un récit du non-dit, du rapport à soi, du rapport à l’autre et aux choses, écrit dans une langue très poétique, âpre et englobante.
Les saisons de Maurice Pons, 214 pages, Éditions Bourgois
« En dépit de leur épuisement, les émigrants ne songeaient pas à dormir. La plupart étaient étendus dans le noir, à même le sol et les yeux grands ouverts, écoutant le ronflement de la tempête, remuant en secret des pensées secrètes ; les autres demeuraient à ressasser leur espoir, le nez collé au papier huilé de la petite fenêtre, sans rien voir au-dehors que le tourbillonnement fou de la neige et le trou noir et fascinant de la vallée. Seuls, Walter et Clara Dodge s’étaient endormis côte à côte, confiants et apaisés, enlacés comme au jour de leurs noces, s’appliquant à préfigurer une image facile du bonheur. Siméon, à bout de forces, assis en tailleur dans un coin, sanglotait doucement, comme un noyé au terme de ses épreuves, lorsqu’il a touché du pied un instant le fond de la mort et qu’il retrouve soudain, sur le brancard de quelque brigade fluvial, parmi les casques d’or, les lances d’argent et les blousons de cuir des sapeurs, l’étrange soleil noir de la vie. »
Scènes de la vie d’un faune d’ Arno Schmidt, traduit de l’allemand par Nicole Taubes, 213 pages, Éditions Tristram
« Que tous les écrivains saisissent à pleines mains les orties de la réalité. Qu’ils nous montrent tout: la racine noire et visqueuse, la tige glauque et vipérine ; la fleur insolente, éclatante et détonante. Quant aux critiques de ces éteignoirs, ces juges de touche, ces parasites de l’Esprit, qu’ils cessent donc de donner des coups d’épingle aux poètes et qu’ils accouchent à leur tour de quelque production ” distinguée ” : l’univers s’extasierait et crierait d’aise ! Rien d’étonnant à ce que la poésie, comme toutes les belles, soit entourée d’eunuques. Mais il n’y a que les Maures pour apprécier vraiment les taches du soleil (À l’intention de tous les critiques : emballez, c’est pesé ! ). »
La Bouche pleine de terre de Branimir Šćepanović, traduit du serbe par Jean Descat 136 pages, Éditions Tusitala
Un homme court seul. Il passe devant deux chasseurs qui, intrigués, décident de lui courir après. On plonge dans une traque obstinée. Une nouvelle écrite dans une langue condensée, dans l’urgence, qui alterne le point de vue des chasseurs et celui de leur proie, dans un rythme vertigineux.
Zitoune de Grégory Jarry et Nicole Augereau, 48 pages, Éditions Flblb
Un petit carnet de dessin et d’états d’âme qui sent l’olive, et c’est tout. Grégory et Nicole partent au Maroc en ferry: les deux dessinent en direct leurs impressions, déconvenues, aprioris de descendants de colonisateurs et en rigolent, sans les dédramatiser. Leurs déambulations dans les médinas sont loin des clichés, et leurs réflexions, mises à nues, montrent comme s’en détacher n’est pas toujours chose aisée. À relire quand on manque de légèreté et d’ouverture d’esprit.
Éloge des voyages insensés (L’île) de Vassili Golovanov, traduit du russe par Hélène Châtelain 512 pages, Éditions Verdier
« Tous les petits garçons rêvent de voyager. Mais, comprends bien : voyager vraiment, s’exposer aux dangers, ramper, marcher, épuisé par la charge ou la soif, mesurer l’espace à l’aune de soi-même, se l’approprier en lui donnant, selon la loi du partage, sa force, son désespoir et son allégresse afin de recevoir de lui, en échange, ce je-ne-sais-quoi qui fait que l’on deviendra jamais un touriste regardant à travers les vitres de l’autobus, comme de l’intérieur d’un aquarium, les curiosités de Moscou, de Paris ou de Londres. L’espace me fera don d’une inestimable richesse. L’espace fera de moi un être humain… »
Ce livre en contient mille, sur l’espace et le voyage, la solitude et l’enfance, la rédemption et l’île, la création et la vie. Il eut en France ses bonnes étoiles, à commencer par Hélène Châtelain, qui l’a admirablement traduit, et Pierre Landry, qui tenait la librairie Préférences à Tulle. Deux étoiles qui hélas nous ont récemment quittés.
Le Surmâle d’ Alfred Jarry, 209 pages, Éditions Viviane Hamy
« – L’amour est un acte sans importance, puisqu’on peut le faire indéfiniment. Tous tournèrent les yeux vers celui qui venait d’émettre une telle absurdité. Les hôtes d’André Marcueil, au château de Lurance, en étaient arrivés, ce soir-là, à une conversation sur l’amour, ce sujet paraissant, d’un accord unanime, le mieux choisi, d’autant qu’il y avait des dames, et le plus propre à éviter, même en ce septembre mil neuf cent- vingt, de pénibles discussions sur l’Affaire. (…) Aussi la phrase inattendue eut-elle les mêmes effets que ceux, mal analysés jusqu’à ce jour, d’une pierre dans une mare à grenouilles: après un très court désarroi, un universel intérêt. »
Lambeaux de Charles Juliet, 160 pages, Éditions P.O.L
« Il est difficile de parler beaucoup sans dire quelque chose de trop. » C’est de Louis XIV, et Charles Juliet a sublimé le concept. Résumer Lambeaux, ce serait tenter de résumer l’essence de l’écrivain. Charles Juliet nous raconte ses deux mères, la biologique et l’adoptive. Il écrit la construction d’une identité, avec ses doutes, ses failles, et son cheminement vers l’écriture. Charles Juliet a sans doute le mieux écrit « la page blanche ».
Lambeaux : c’est vingt ans de travail, vingt de doutes, vingt d’amour avec sa compagne également. Pour un livre qui fait 160 pages en poche. Chaque mot est juste, et tout est dit. Et oui, il est difficile de parler de Lambeaux sans dire quelque chose de trop…
Jérôme de Jean-Pierre Martinet, 408 pages, Éditions Finitude
La force de ce livre, c’est tout l’inverse de Charles Juliet : c’est un style par l’accumulation, le trop, jusqu’à atteindre les bords de l’humanité.
On suit Jérôme, un quarantenaire qui vit toujours chez sa mère et que les voisins qualifient de “lent” qui part dans la nuit, dans une ville mixée entre Paris et Saint-Pétersbourg, pour retrouver la fille qu’il aime. Jérôme, c’est la force de Louis-Ferdinand Céline, le rire rabelaisien et les marginaux de la Beat Generation prêts à brûler pour se sentir exister.
Un grand merci à l’équipe des Éditions du Tripode !
Caroline