En se glissant dans une étroite ruelle, l’héroïne de Grip ne se doute pas qu’elle en ressortira changée à jamais. Car entre les deux murs aveugles semble se cacher une distorsion du temps et de la matière qu’elle ne peut s’empêcher de toucher, gagnant alors malgré elle un pouvoir hors du commun : celui de déconstruire et remodeler tout ce qu’elle prend entre ses mains, disloquant et réassemblant jusqu’au moindre atome de ce qu’elle empoigne.
Si les premiers moments sont compliqués, car il lui faudra de la maitrise pour contrôler ce don inopiné, la jeune femme dompte peu à peu cette nouvelle aptitude jusqu’à en faire une réelle continuité de sa pensée intime, sculptant ainsi le fil ses émotions.
Dans une explosion vibrante de couleurs fluo, Lale Westvind nous invite à repousser les limites de nos dimensions connues, jouant avec les formes et les volumes pour créer une œuvre à l’éclat unique. Les femmes qui évoluent dans cet univers psychédélique sont fortes, musculeuses et indépendantes. Serveuse ou pilote d’avion, elles vont guider le personnage principal le long de son voyage initiatique, lui permettant de découvrir et déployer ses facultés pour atteindre ses désirs. Elles sont toutes maitresses de leur destin, unies dans un esprit de sororité naturel et fluide, usent de leurs mains aussi bien pour travailler que pour explorer leurs passions.
Grip se passe de parole, la déflagration de nuances et la patte picturale se suffisent à elles même, modelant un langage détonant. L’autrice façonne une histoire de corps puissants et de mentalités libérées, joue sur des dynamiques fantaisistes pour nous plonger encore plus profondément dans le panel d’émotions et de modulations ressenties par sa protagoniste. Dès l’instant où elle quitte le domicile familial régie par une mère qui ne la comprend pas et qui l’enferme dans son schéma enclavé, elle se découvre et apprend à forger son environnement selon ses désirs. Ses mains, tout d’abord indomptables et maladroites, vont devenir de véritables alliées qui lui permettront de construire les choses les plus fines comme de broyer les éléments les plus imposants qui se dresseront sur son chemin.
Dans cet album, Lale Westvind nous transporte dans un trip halluciné allant du tourbillon de la ville au calme des forêts. Histoire d’équilibre, d’apprivoisement intime, d’amitié et d’amour, Grip est avant tout un hommage, tout aussi original que percutant, à celles et ceux qui vivent et travaillent de leurs mains. Un voyage initiatique délirant et exaltant possédant une beauté graphique déconcertante.
Les requins marteaux
160 pages
Caroline