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L’aliéniste – Fábio Moon & Gabriel Bá

Vous n’avez pas remarqué le nombre de fous qui déambule tranquillement dans nos rues? Oh pas des fous dangereux non, ceux-là sont déjà en prison ou dans des institutions psychiatriques. Mais quand même… Celui-là qui marmonne dans sa barbe, adossé au poteau électrique, celle-là qui marche à grands pas en faisant des gestes nerveux de ses mains en fronçant les sourcils. Ou encore lui, qui reste immobile, debout au milieu de la rue, les yeux levés au ciel dans l’attente que le ciel lui tombe sur la tête. Ils sont fous, tous fous! Enfin, encore faut-il être sûr de savoir définir et reconnaître la folie. Peut-on considérer comme fou celui dont l’équilibre mental est en biais? A quel point faut-il l’avoir de traviole pour passer de doux illuminé à fou des grands jours? Non parce que c’est pas pour dire, mais elle, avec ses grands airs et son incroyable bonté, sa générosité débordante et son absence de colère, elle ne me semble pas beaucoup plus saine d’esprit que Tartempion qui discute philosophie socratienne avec la poubelle du métro.

Il faut classer, répertorier, analyser et expérimenter, afin de pouvoir non seulement soigner ces gens, mais surtout et principalement bien sûr définir les limites de la folie elle-même. Monomaniaques, fous furieux, obsessionnels, inoffensifs… quel que soit l’objet de leur délire, tous sont en crise de raison, et l’on ne peut raisonnablement pas les laisser comme cela.

A Itaguaï, au Brésil, le bon et sage Dr. Bacamarte  a décidé de prendre ce problème à bras le corps, le grand homme. Avec l’aval du conseil il rassemble dans la maison verte du village les gens considérés comme fous, et qui sont en général laissés pour compte ou enfermés dans quelque obscure pièce d’une ferme. Tous regroupés dans cette maison, et avec l’aide dévouée du bon apothicaire Soares et du père Lopes, Bacamarte veut découvrir toutes les pathologies de l’esprit et circonscrire la folie afin de mieux la contrer. Mais tandis que les jours passent, l’asile se remplit, et les rues d’Itaguaï se vident. Les pauvres gens d’Itaguaï seraient-ils tous fous?

L’aliéniste est un conte philosophique adaptée d’une nouvelle classique de la littérature brésilienne, écrite par J-M Machado de Assis publiée à l’époque vénérable de l’an de grâce 1882. A cette époque où l’on commençait à doucement croire que les fous étaient malades et donc, comme d’autres malades, pouvaient être soignés, Machado s’est livré avec délectation et humour dans cette fable sur ce grand médecin brésilien qui décide de prendre à bras le corps ce domaine encore mystérieux et pourtant si présent au quotidien de la folie des gens. Mais comment ? Qu’est-ce qu’être fou? Par rapport à quoi? à qui? Avec finesse et ironie Machado dresse le portrait de cet homme de science détenteur du savoir et seul en mesure de reconnaître et soigner le fou, car en homme de science lettré, analytique et réfléchi, il est le seul à Itaguaï capable de mettre des mots et un visage sur la folie. Mais la science est expérience, et d’autant plus l’étude des maladies mentales, domaine encore flou et brumeux, et seule l’expérimentation permet de cerner au mieux les véritables symptômes de la perte d’esprit. Quitte à se tromper et réessayer. Car à l’époque qu’est l’aliéniste si ce n’est le garde-fou de la raison?

L’adaptation de Fabio Moon et Gabriel Ba donne toute sa mesure au texte de Machado. Les couleurs sépia utilisées tout au long de l’histoire lui donnent ce côté ancien, tout en amenant de nombreuses nuances qui donnent au dessin toute sa richesse et sa profondeur. Le trait est souple et classique, soulignant là peut-être la langue utilisée par Machado, et l’un comme l’autre sont d’une complexité plus grande qu’il ne le laisse paraître au premier coup d’oeil. Pleines d’ironie et de sous entendus, la langue et l’histoire sont illustrées parfaitement pour faire ici une oeuvre complète qui vaut vraiment le détour. Facile à lire, accrocheur et profond, que demander de plus à un livre? Il faudrait être fou pour ne pas s’en délecter. Remarquez, peut-être que…

9782365775410-couv-M200x32768 pages
Urban Comics
Traduit par Marie-Hélène Torres

Marcelline

À propos Marcelline

Chroniqueuse/Co-Fondatrice

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