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L’ancêtre – Juan José Saer

Couv_ancetreAux alentours de l’an 1515, trois navires, emmenés par le capitaine Juan Diaz de Solis, quittent l’Espagne en direction des nouvelles Indes. Quelques mois plus tard, le capitaine et quelques hommes débarquent sur les rives du Rio de la Plata, sur les terres de l’actuelle Argentine. À peine le pied posé sur les berges, l’équipage est attaqué par des Indiens, et seul est épargné un jeune mousse de 17 ans, Francisco del Puerto, qui sera capturé par la tribu. Il restera plus de dix ans avec eux avant de pouvoir repartir pour l’Espagne.
Ce fait réel est le point de départ, ô combien promesse d’aventure, du roman de Juan José Saer. S’appropriant la voix du mousse, qui, au crépuscule de ses jours, décide de coucher sur le papier sa vie, l’auteur nous emmène loin des images romanesques et romantiques d’aventures en terre inconnue, pour nous déposer sur les rivages beaucoup plus complexes et envoûtants de l’expérience personnelle et du rapport au monde.

Nous sommes aux prémices de l’exploration du nouveau continent, et chaque débarquement y est une vie en soi. Accueilli dans une violence incompréhensible, notre jeune mousse va passer les premiers temps de sa « captivité » dans un flou total. Après avoir assisté à la mort de ses compagnons de mer, c’est lors d’une orgie cannibale qu’il prendra ses quartiers dans le village indien. Aucun échange verbal n’est possible, les coutumes et le quotidien de ses ravisseurs lui échappent complètement, tout comme son statut de def-ghi, seul épargné du massacre, mais pour autant il est accueilli avec déférence et vaque à ses occupations avec une totale liberté. Il lui faudra attendre le passage d’un autre navire européen, quelques dix ans plus tard, pour retourner sur le vieux continent. Mais pour y retrouver quoi ?
Ce retour sur cet événement majeur de sa vie va permettre au sage mousse de comprendre, ou du moins d’esquisser une certaine compréhension, de ce autour de quoi il a bâti son existence et son être. Perdu lors de son retour en Espagne, mendiant, accueilli par un prêtre, il finira membre d’une troupe de théâtre itinérant. Mais rien de tout cela ne réussira à lui faire oublier ces dix ans. Bien au contraire, le temps passé auprès de ses compatriotes aiguisera ses souvenirs avec la tribu et l’aideront à appréhender leur vie. Ni bon, ni mauvais, vivant avec les moyens du bord, dépassés par un univers trop grand pour eux avec lequel ils s’accordent malgré tout, la vie parmi les Indiens deviendra au fil des réminiscences peut-être bien le seul moment où l’existence du mousse a pu avoir un sens.

“Mais à la fin, même cette faible trace finit par s’effacer. Rien ne saurait désigner la noirceur qui survint. Et silence n’est pas, tant s’en faut, le mot qui convient pour cette absence de vie. Je suis sûr que cette obscurité entrait si fort en chacun de nous qu’il ne restait plus trace de cette petite lumière que, de temps en temps, provisoire et menue, les Indiens voyaient briller en eux. Enfin nous pouvions percevoir la couleur juste de notre patrie, débarrassée de la variété trompeuse et sans épaisseur conférée aux choses par cette fièvre qui nous consume dès la pointe du jour et ne cède que lorsque nous sommes enfoncés bien avant au cœur de la nuit. Enfin nous pouvions toucher, de l’extérieur, la pulpe brumeuse de l’indistinct dont nous avions cru jusque-là, qu’elle était issue de notre délire, de l’invention capricieuse d’un enfant trop gâté dans un foyer matériel fait de nécessité et d’innocence. Enfin nous arrivions, après tant de pressentiments, à notre lit anonyme.”

Utilisant magnifiquement la langue du XVIè, levée de poésie, Juan José Saer propose un roman, presque un conte qui, telle la remontée du Rio de la Plata, nous emporte entre souvenirs, rêves et monde.

186 pages
Le Tripode

Marcelline

À propos Marcelline

Chroniqueuse/Co-Fondatrice

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