Alors Qu’il nous avait habitué à une certaine constance dans la qualité et la démesure, László Krasznahorkai, que nous découvrions en France avec ”Le tango de Satan” au début des années 2000, et qui surtout s’imposa en tant que géant de la littérature, avec Guerre&Guerre, revient avec son nouveau livre. Depuis le Tango, une poignée de romans, de nouvelles, et il faut bien l’admettre, tout comme un Philip Roth ou en José Saramago, l’annonce d’un nouveau roman est synonyme d’un excellent livre, mais nous ne nous attendons pas à nouveau coup de génie de la part de l’auteur.
Alors, quand « Le baron Wenckheim est de retour », fut annoncé, et qu’en plus de cela, l’auteur lui déclara :
« J’ai dit des milliers de fois que je n’ai toujours voulu écrire qu’un seul livre. À présent, avec le Baron, je pense que je l’ai achevé. Ce roman est la preuve que je n’ai vraiment écrit qu’un seul roman de toute ma vie… c’est mon unique livre. »
Il y a de quoi s’interroger sur ce nouveau livre que nous tenons entre nos mains, est-ce vraiment « Le Roman », celui qui définirait l’univers de László Krasznahorkai, qui synthétiserait ses qualités, ses obsessions, ses signatures, ses travers, ou encore son regard sur notre monde ; ou bien, sommes-nous face à un effet d’annonce pour faire parler de son nouveau roman. La seconde hypothèse pouvant totalement s’entendre, tant le marché du livre sature régulièrement, au rythme de rentrées littéraires et autres événements autour de l’objet livre.
Mais revenons au baron.
Qui est Béla Wenckheim ? Alors que son retour est annoncé, et tarde, dans une petite ville hongroise, attendu comme le messie, l’enfant prodige, qui va faire se relever la ville et ses habitants, rien que par sa présence. Oui, mais qui est-il ? Et pourquoi revient-il, son retour sème la confusion tout comme les interrogations dans la communauté. De son côté, ce fameux baron, après une vie fumeuse, flambant les deux bouts en Argentine, et après s’être ruiné aux jeux à Buenos Aires, se fait sauver sa peau par sa famille et est renvoyer au pays pour y finir sa vie, et s’y tenir à carreau. Deux attentes différentes pour des moments, au sein de cette communauté, savoureuses.
Savoureux, il n’y a pas d’adjectif plus pertinent quant à la lecture de son nouveau roman. Tant son texte par sa construction quasi-hystérique, nous plonge dans un univers généreux. Car «Le baron Wenckheim est de retour » est bavard, gourmand, tout en tensions et impose un rythme singulier. Ce qui est d’ailleurs d’une finesse assez unique, car l’auteur en guise d’avertissement, nous plonge dans un monologue incroyable. Un monologue s’adressant à un orchestre, une logorrhée quasi sans point, nous annonçant d’emblée comment devra être lu le roman.
Nicolas Weill, dans son article pour Le Monde, parle du « flux de conscience » que nous avions pu découvrir avec le personnage de Molly Bloom dans l’oeuvre monde de Joyce, Ulysse. Une technique d’écriture qui cherche avant tout à habiter le monologue intérieur, et ses constructions en arborescence. Donnant ainsi un « flux » qui rebondit d’une idée à une autre, créant un tout, une sorte de logorrhée intérieure puissante.
Mais chez László Krasznahorkai, j’irais plus loin, tout en jouant la multiplicité des points de vue, et tout comme un Delillo, en ne spécifiant pas les changements de personnages, nous nous retrouvons dans des « flux » enchâssés, le tout ponctué par des ellipses. Un tout qui peut paraître singulier, voir abscons. Mais qui fonctionne diablement bien. Là où nous quittons le formalisme et la structure plus classique, nous plongeons dans une forme de transe littéraire que seule la fin du roman peut couper.
Alors que dire de ce nouveau László Krasznahorkai ?
Et bien qu’il serait bien dommage qu’il considère ce roman, comme « SON » roman, tant, encore avec celui-ci, il nous prouve qu’il est définitivement à part, et que livre après livre, il nous laisse découvrir une virtuosité qui paraît être sans limite. « Le baron Wenckheim est de retour » est un morceau de bravoure à l’état brut, un texte passionnant, bavard et généreux, qui n’a pas réellement d’équivalence, si ce ne sont les précédents textes de l’auteur.
Éditions Cambourakis,
Trad. Joëlle Dufeuilly,
528 pages,
Ted.