« Hier, j’avais un caillou dans la chaussure. Je ne l’ai pas retiré de la journée. »
Qui ? Qui n’a jamais eu un caillou dans sa chaussure depuis la veille et ne l’a pas retiré ? Il est là bien tranquille au fond de la chaussure ou bien au niveau du talon et il fait mal, enfin un peu. Mais bon, rien n’y fait on ne le retirera pas. Du moins pas tout de suite. Parce que ça fait mal mais juste un peu mais assez pour empêcher d’avancer.
Le caillou de Sigolène Vinson conte l’histoire d’une jeune femme amoureuse qui fait le poisson rouge dans son appartement qu’elle ne quitte que quand la nécessité pointe son nez. Parce qu’elle a mal à la vie, parce qu’elle n’existe pour personne et sent donc son être se fossiliser.
Et puis un jour, elle fait la rencontre de Monsieur Bernard. Ce sacré Monsieur Bernard qui pue « la créature marine échouée » est aimable comme une porte de prison et passe son temps à la dessiner en secret avec en tête un projet bien plus grand encore. Ces deux abîmés de la vie vont nouer une amitié délicieusement vacharde qui deviendra le moteur d’une vie un peu plus fleurie.
Un jour Monsieur Bernard meurt. Elle voit d’abord son sac funéraire « bien plus grand qu’un sac à vomi » mais elle comprend. Le caillou dans la chaussure est toujours là mais il remonte se planter direct dans le cœur. Commence alors un voyage improbable, dans un petit village en Corse, près d’Ajaccio où Monsieur Bernard a vécu et où gît son grand projet caché dans les rochers.
D’autres cailloux viennent donc agrandir cette histoire. Ils sont gros et servent de matière à une sculpture de grande envergure qu’elle continuera parce que c’est l’œuvre de Monsieur Bernard mais parce que c’est aussi son être qu’elle grave dans la pierre. Elle devient pierre, matière pour contribuer à la beauté du monde.
« Le caillou » est un texte étonnant et réjouissant, à l’humour décapant.
La narration part et revient, parfois semée comme les pierres du Petit Poucet mais toujours fluide, pleine d’envolées drôles et tendres. Bourré d’intelligence, on lit avec délice cet hommage à l’art, à la matière, à la vie pour ce qu’elle est. Parfois c’est beau et grand, parfois c’est comme avaler une tartine de merde et comme nous sommes des créatures relativement bien faites et quelques peu évoluées on en redemande. Ou bien on se roule dedans, chacun ses goûts.
Et puis quitte à devenir fossile parce que la société nous ignore autant devenir de la matière pour servir l’art car la beauté est sans doute l’une des choses qui sauvera le monde.
Même s’ il y toujours ce satané caillou dans la chaussure qui empêche d’avancer et que c’est quand même bien embêtant. Parce que la vie est ainsi, pleine de va et vient, de raz-de-marées et de beauté.
Sucez donc ce caillou pour étancher votre soif de lecture !
200 pages
Gwen